En 2011, l’industrie malaisienne de l’édition a accueilli un nouvel acteur : la maison Fixi, créée par l’écrivain, essayiste et cinéaste Amir Muhammad, figure de la scène alternative en Malaisie. Fixi, de l’indonésien « fiksi » pour fiction, se veut un réservoir de nouveaux talents et de pulp fiction urbaine. Un article d’Elizabeth Tai, tiré du quotidien local The Star.
Basé à Kuala Lumpur, l’écrivain et cinéaste indépendant Amir Muhammad vient de poser un pied dans le monde vaste – et plutôt intimidant – de l’édition en langue malaise, et il en ressent une grande excitation.
« La place est déjà bien encombrée mais nous tentons d’apporter quelque chose de neuf », dit-il lors de notre rencontre au Salon International du Livre de Kuala Lumpur, en avril 2011.
Amir tient déjà les rênes d’une maison d’édition baptisée Matahari Books, fondée en 2007 et spécialisée dans la publication d’ouvrages de non-fiction en langues anglaise et malaise, mais aussi comme l’explique Amir, « d’autres bouquins qui m’amusent ». Plusieurs ouvrages chez Matahari ont connu un franc succès, à l’image de Malaysian Politicians Say the Darndest Things (Les Politiques Malaisiens en disent de belles) volumes 1 et 2, et Yasmin Ahmad’s Films (Les films de Yasmin Ahmad, en hommage à la cinéaste décédée en 2010).
Puis, en mars 2011, Amir a lancé Fixi, une maison pour la publication d’ouvrages en malais.
L’idée de Fixi lui est venue en août 2010, lors d’un évènement littéraire récompensant les ouvrages les plus vendus de l’année. Amir s’est alors aperçu que la majorité des 10 meilleures ventes en langue malaise étaient des romans d’amour. On lui a expliqué que la plupart des lecteurs en langue malaise sont en fait des lectrices, et que pour cette raison, les livres à grand succès sont avant tout des romances à l’eau de rose.
« Loin de moi l’idée de dire que ces livres sont mauvais, mais je voulais faire quelque chose de différent. Tous ces livres s’adressent avant tout à un lectorat jeune, malais et féminin – mais que reste-t-il pour le reste de la population ? » se demande-t-il.
« Qui plus est, il est peu probable que les jeunes femmes malaises aient toutes des goûts de lecture identiques », ajoute-t-il.
Des auteurs femmes lui ont d’ailleurs dit qu’elles avaient tenté de soumettre leurs manuscrits à des maisons d’édition, pour se voir répondre que seules les histoires d’amour seraient retenues.
« Certaines de ces maisons ont même des lignes éditoriales très strictes, comme “le méchant ne doit pas triompher à la fin”… Une sorte de précaution vis-à-vis de leur marché », dit-il.
Alors qu’il venait juste de finir Devil’s Place, de l’auteur du cru Brian Gomez (et selon Amir, le meilleur roman malaisien jamais écrit), une question s’est mise à le tarauder : « Ne serait-il pas excitant d’avoir plus de livres comme Devil’s Place, mais en malais, afin de toucher encore plus de gens ? »
C’est ainsi qu’en Septembre 2011, sur la page Facebook de Matahari, il a lancé un appel à soumissions pour de la “pulp fiction urbaine” en bahasa malaysia.
« Comme c’est de la pulpe, il n’y a rien à ruminer. Il faut que ça bouge, que ça en mette plein la vue », dit-il.
Quatorze auteurs ont répondu à l’appel, mais seulement trois d’entre eux ont pu terminer leur roman dans les délais impartis.
« Avec le recul, il me semble que trois livres est un chiffre adéquat pour commencer. J’avais cette idée folle de lancer six livres d’un coup, ce qui n’aurait sans doute pas manqué d’interloquer les lecteurs : “Comment choisir parmi ces six livres ?”»
Lors du Salon International du Livre de KL, le stand de Fixi a vu beaucoup de passage et de nombreux visiteurs en ont profité pour faire main basse sur les trois livres. « Si cela avait été six, je ne pense pas qu’ils auraient pris les six en même temps », admet-il.
A l’origine, Amir comptait publier ces romans sous la bannière de Matahari. Mais, après en avoir discuté avec ses distributeurs et des représentants de librairie, il s’est finalement résolu à créer une nouvelle marque au fonctionnement différent.
Il lui a fallu un certain temps pour aboutir au nom de sa nouvelle maison. Il avait pensé y inclure le mot indonésien « fiksi », pour fiction.
« J’avais des idées vraiment horribles, mais deux jours seulement avant l’enregistrement de la société, j’ai soudain eu l’illumination : “fixi” avec un x. C’est la seule société en Malaisie qui s’écrit en quatre lettres et qui commence par un f, » plaisante-t-il.
« Fixi suit une trajectoire totalement différente de celle de Matahari, poursuit-il. En premier lieu, la maison se doit d’être plus rigoureuse et systématique dans sa façon de publier.
« Afin de respecter des critères de distribution, on se doit de sortir un roman par mois. Sinon les gens ne nous prendront pas au sérieux », dit-il.
« La structure de la société est donc mieux définie, pour éviter que nos livres finissent noyés sous le flot immense de romans en malais disponibles sur le marché.
« Si tu ne fais que sortir un roman tous les 36 du mois, tu n’obtiens qu’un impact limité », indique-t-il.
Ce même élan sert non seulement à maintenir l’appétit des lecteurs, mais aussi à insuffler de la confiance aux auteurs qui passent tant de temps à fignoler leurs récits.
En termes de ventes, l’industrie malaise de l’édition explose à l’heure actuelle et compte quelques ténors, à l’instar de Dewan Bahasa dan Pustaka, qui publie chaque année un grand nombre d’ouvrages. Un autre leader incontestable du marché est Alaf 21, qui ajoute tous les mois une douzaine de nouveaux romans à son répertoire.
« Un roman d’amour en malais qui fait un carton se vend à 50 000 exemplaires », dit Amir. « Mais je ne cherche pas à atteindre ce genre de chiffres. La comparaison est impossible – et c’est d’ailleurs la raison qui me pousse à me diversifier ».
La cession des droits de traduction constitue l’un des axes de développement de Fixi, et Amir est déjà en pourparlers avec des maisons d’édition à Singapour et en Europe.
Un autre est l’adaptation de certains romans en films.
Fixi a récemment signé un accord avec Prime Works, une société de production malaisienne. Avant même sa sortie, tout manuscrit sera envisagé sous l’angle d’une adaptation cinématographique possible.
« Chaque mois, ils [les producteurs] auront un nouveau livre à étudier. Pour l’instant, sur les six livres déjà publiés, ils sont potentiellement intéressés par deux ou trois. On passe maintenant à la phase du traitement… Je serai impliqué en tant que co-producteur », dit-il.
« Un des problèmes de l’industrie du cinéma en Malaisie, c’est que le public s’imagine que les réalisateurs savent écrire leurs histoires, ce qui n’est pas nécessairement le cas. Le réalisateur se concentre d’abord sur la réalisation, non sur l’écriture. Dans d’autres pays, les histoires proviennent habituellement de quelqu’un d’autre – elles sont adaptées de pièces de théâtre ou de romans », remarque-t-il.
Et d’ajouter : « Mes auteurs ne s’attendent pas du tout à voir leur livre porté à l’écran. Cela rend l’aventure encore plus excitante pour eux ».
S’il évalue toujours le potentiel cinématographique des écrits qu’il sélectionne, Amir ne laisse pas ce seul critère arbitrer ses choix.
« De toute façon, je publierai toujours les ouvrages que j’aime, même si je pense que les librairies n’en voudront pas. Je finirai toujours par les vendre, en ligne ou lors d’évènements ».
Pour preuve, les ventes de sa librairie en ligne se portent bien.
Faire son chemin dans le monde de l’édition en Malaisie relève du parcours d’obstacle, mais Amir est heureux d’être de l’aventure.
« Si je ne m’amusais pas, je ne le ferais pas », dit-il le sourire aux lèvres.
Source : The Star.
Amir Muhammad, l’enfant terrible
Né en 1972, Amir Muhammad s’est d’abord fait un nom en Malaisie au travers de ses documentaires engagés. Réalisateur de The Big Durian, Susuk, Malaysian Gods, mais aussi de Lelaki Komunis Terakhir et Apa Khabar, Orang Kampung (ces deux derniers étant censurés en Malaisie), il a décidé en 2009 de mettre sa carrière de cinéaste entre parenthèses pour se consacrer pleinement à l’écriture et à l’édition. Après avoir fondé Matahari Books en 2007, spécialisée dans la publication d’ouvrages de non-fiction, il a récidivé avec Fixi en 2011. Avec plus d’une quinzaine de livres au catalogue, Fixi se veut une maison à la ligne éditoriale agressive et accrocheuse. Il réside aujourd’hui à Kuala Lumpur, sa ville natale.