Du 7 au 23 décembre, se déroule à Kuala Lumpur la quatrième édition du Big Bad Wolf Book Sale, qui se revendique comme le plus grand déstockage de livres au monde, avec pas moins de 3 millions de livres mis en vente à prix cassés. Un évènement qui attire les foules et qui, comme l’espèrent ses organisateurs, donnera le goût de lire au plus grand nombre… à tout petit prix.
Retour quatre ans en arrière, en 2009. Andrew Yap et son épouse Jacqueline Ng se lancent un défi assez fou : organiser le plus grand déstockage de livres en Malaisie. En partenariat avec des distributeurs locaux et de Singapour, ils réussissent pour leur première édition à rassembler pas moins de 150 000 livres, qui s’arrachent comme des petits pains en l’espace de cinq jours. La totalité des livres qu’ils récupèrent auprès de leurs fournisseurs sont soit des livres en excédent d’impression, soit des livres dont le cycle de vie en magasin est arrivé à terme. Tout est neuf, rien n’est d’occasion. Pas de sorties récentes, bien évidemment, mais des prix qui descendent tout de même jusqu’à 8 ringgits malaisiens (2 Euros) pour un roman, et jusqu’à 20 ringgits (5 Euros) pour un beau-livre !
Libraires de profession (ils gèrent l’enseigne BookXcess à Petaling Jaya), Andrew et Jacqueline adorent lire et transmettre leur passion pour la lecture. Conscients du fait que les livres ne sont pas toujours à la portée de toutes les bourses en Malaisie, ils se sont donnés pour mission de démocratiser le secteur. Et pour stimuler l’appétit de leurs clients et susciter un intérêt chez les plus jeunes, quoi de mieux qu’un gigantesque évènement annuel, une grand-messe du livre à prix cassé ? L’édition 2011 avait failli ne pas voir le jour, leur partenaire principal leur ayant fait faux bond au dernier moment. Heureusement, un distributeur étranger rencontré au détour d’un salon du livre leur a fait une offre pour 500 000 livres à prix très concurrentiels. Une offre qu’Andrew et Jacqueline n’ont pas laissé passer.
De 1,5 million de livres en 2011, les voici aujourd’hui rendus à 3 millions de livres, ce qui fait du Big Bad Wolf Book Sale le plus grand évènement du genre au monde. De cinq jours en 2009, la vente s’étend désormais sur 16 jours, dont un premier week-end de portes ouvertes en continu sur 63 heures (baptisé Mission 63). Du cadre réduit du Dataran Hamodal à Petaling Jaya, les stocks se sont transportés dans les locaux spacieux et climatisés du MIECC (Mines Convention Centre), à Serdang. Vu le buzz suscité sur les médias sociaux et le nombre de visiteurs cumulés sur les premiers jours de vente, on peut d’ores et déjà s’attendre à une nouvelle opération 2012 réussie (et rentable) pour les organisateurs. En attendant un évènement encore plus démesuré l’an prochain, et peut-être même une homologation au Livre Guiness des Records ?
Dans cet apparent paradis des lecteurs, il faut néanmoins signaler quelques bémols. Le premier est la négligence avec laquelle sont traités de nombreux ouvrages. Certes, les prix réduits permettent à certains visiteurs de se servir allègrement, sans se soucier outre mesure de la facture finale. Certes, les lieux sont immenses. Mais est-ce une raison pour abandonner, au mieux sur un étalage complètement différent, au pire par terre (voire même aux toilettes…) les livres qu’on ne souhaite plus acheter au bout du compte ? Avec humour, les commentaires de Malaisiens sur Facebook raillent l’incivilité de ces lecteurs bien peu respectueux de l’objet livre… Deuxième bémol : la relative pauvreté de l’offre en langue malaise. Leur nombre est — et c’est normal — bien inférieur aux livres en anglais, d’autant que les partenaires de Big Bad Wolf sont principalement occidentaux. Mais combien de livres avec les mots cinta ou sayang (amour) dans le titre peut-on avoir envie de lire ? Les étalages de livres malais sont bien moins visités que les autres, et pour cause : l’offre proposée est d’une médiocrité abyssale.
Et que dire des écrivains malaisiens importants sur la scène littéraire actuelle, qu’ils soient anglophones ou malayophones ? Sont-ils si insignifiants aux yeux des organisateurs et des lecteurs pour qu’ils n’aient pas voix au chapitre, pour que la découverte de leurs ouvrages ne soit pas elle aussi encouragée ? Ou bien ces ouvrages, aux tirages encore confidentiels, sont-ils déjà tous écoulés ?… Après une journée entière de recherche sur place, seul le beau roman de Preeta Samarasan, Evening is the Whole Day, semblait faire partie des stocks récupérés. Espérons que d’autres livres d’auteurs du cru sortiront des cartons d’ici au 23 décembre… En tous les cas, une chose est sûre, Robert Ludlum et Jeffery Deaver vendent certes beaucoup, mais ils gaspillent aussi énormément ! Combien de milliers de volumes sont imprimés en dépit de tout bon sens, jetant argent, encre et forêts entières par les mêmes fenêtres grandes ouvertes ? A quand une (certaine) industrie du livre responsable et réellement respectueuse de l’objet et des auteurs qu’elle nous vend ? Et si c’était ça, finalement, la grande leçon de cet immense déballage/déstockage ?