Après Fixi (fiction contemporaine malaisienne en bahasa melayu), Fixi Novo (fiction malaisienne anglophone) et Fixi Retro (classiques malaisiens en BM), l’éditeur à multiples casquettes Amir Muhammad s’attaque désormais à la fiction étrangère en traduction. Sous le label Fixi Verso, viennent ainsi de paraître en malais deux premiers livres, et non des moindres puisqu’il s’agit du récent Joyland de Stephen King et du dernier opus de Neil Gaiman, The Ocean at the End of the Lane. Un évènement en soi : jamais ces deux auteurs n’avaient encore été traduits en BM, et Amir Muhammad assure ne pas vouloir s’arrêter en si bon chemin… Pour parler de ces traductions, nous avons contacté Adib Zaini et Murni Mansor, les traducteurs respectifs de Neil Gaiman et Stephen King.
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Le nombre de traductions littéraires depuis l’anglais (et d’autres langues) vers le bahasa melayu est encore très limité en Malaisie. Avant d’être choisis pour traduire les livres de Stephen King et Neil Gaiman, quelles expériences personnelles entreteniez-vous avec la traduction littéraire ?
Adib Zaini: C’est en fait la première fois que je traduis un roman. J’avais déjà traduit des sous-titres, mais j’étais encore vierge sur le plan de la traduction littéraire avant Lautan di Hujung Lorong (The Ocean at the End of the Lane).
Murni Mansor: J’avais déjà traduit des sous-titres et des articles universitaires, mais Joyland est ma première traduction d’un ouvrage littéraire.
Comment avez-vous été approchés par Fixi et comment votre collaboration s’est-elle mise en place ?
A.Z.: Je ne me souviens pas des détails exacts, mais à peu de choses près, ça s’est passé comme ça : Amir Muhammad m’a envoyé une photo du livre sur WhatsApp en me demandant « nak translate? » (« tu veux le traduire ?« ). J’ai d’abord traduit le prologue et attendu son avis. Il en a été satisfait et m’a donné le feu vert.
M.M.: Un ami m’a fait passer le tweet de Buku Fixi qui était à la recherche de traducteurs. J’ai trouvé ça très intéressant, donc j’y ai répondu et on m’a envoyé un court texte à traduire en guise de test. J’ai été retenue avec quelques autres et on a ensuite été soumis à deux autres tests éliminatoires, traduisant cette fois des passages de Joyland. Peu de temps après, Amir m’a contacté pour m’annoncer la bonne nouvelle.
Etiez-vous de grands lecteurs de Stephen King et Neil Gaiman avant de traduire leurs livres ? Pensez-vous qu’un traducteur ait justement besoin d’être fan d’un auteur pour pouvoir bien le traduire ?
A.Z.: Je suis un grand fan de Neil Gaiman. Selon moi, c’est sans doute la raison pour laquelle Amir m’a choisi comme traducteur. Je ne dirais pas qu’il faut nécessairement aimer un auteur pour pouvoir bien le traduire, mais dans mon cas, ça m’a aidé.
M.M.: Non, pour être honnête, je n’étais pas une grande lectrice de Stephen King. Mais j’aime bien ce qu’il écrit. Je ne pense pas qu’il soit important d’être fan d’un écrivain pour bien traduire ses livres. D’après moi, le plus important est de comprendre ce que l’auteur cherche à faire passer, l’essence de ses personnages, l’atmosphère d’ensemble et le ton. Du moins, c’est ce que j’ai cherché à faire !
En tant que traducteurs, avez-vous des habitudes particulières pour vous aider à vous immerger dans un texte ? Une routine que vous suivez ? Une recette spéciale pour vous aider à démêler les problèmes rencontrés ?
A.Z.: Je n’ai ni routine, ni recette particulière, ni quoi que ce soit. Je ne sais pas trop comment l’expliquer. Je me suis juste assis et j’ai martelé mon clavier.
M.M.: Pas vraiment. Tout au long de la traduction, je me suis concentrée pour raconter la même histoire, mais en bahasa melayu. Je pense avoir rencontré des problèmes pour certains passages au langage plus grossier, et Amir a fait quelques modifications ici ou là en termes de choix de mots pour, comme il m’a dit, mieux coller à la « rudesse du texte original », et j’ai approuvé ses changements.
Au cas où des problèmes de traduction se présentent, certains auteurs acceptent de répondre aux questions de leurs traducteurs. D’autres préfèrent ne pas s’impliquer. Comment cela s’est-il passé avec Stephen King et Neil Gaiman? Avez-vous eu l’opportunité d’échanger quelques emails avec eux ?
A.Z.: C’est amusant que vous me posiez cette question. En fait, je n’ai eu aucun contact avec Neil Gaiman tout au long de la traduction. Non pas que je ne voulais pas, mais ça ne m’est pas venu à l’esprit. Quelques mois plus tard, j’ai lu sur son Tumblr que certains traducteurs communiquaient avec lui. Je me suis frappé la tête, en me disant « mais bon sang, pourquoi tu l’as pas fait ? » C’est une de ces choses qui paraissent évidentes en y repensant mais je n’y ai même pas songé au moment de la traduction. Heureusement, les seules difficultés que j’ai rencontrées ont été pour la traduction de noms de fleurs, de plantes, d’arbres et d’autres trucs du genre.
M.M.: Non. Ça ne m’est pas venu à l’esprit de le contacter.
L’ITBM, qui est financé par le gouvernement malaisien, a longtemps été la principale, voire la seule maison d’édition à publier des œuvres étrangères traduites en BM. En novembre 2013, l’éditeur indépendant SeLUT Press a diffusé une édition limitée de Fight Club, de Chuck Palahniuk, en BM. Aujourd’hui, c’est donc au tour de Fixi Verso de publier deux livres de Stephen King et Neil Gaiman. Que pensez-vous de l’état actuel de la traduction littéraire en Malaisie, et comment la voyez-vous évoluer dans un futur proche ?
A.Z.: J’aime beaucoup l’évolution que connaît actuellement la traduction littéraire en Malaisie. Je sais qu’Amir est sur le point de signer un nouveau contrat de traduction, peut-être même deux. J’ai aussi entendu dire que Sufian Abas (ndlr: de SeLUT Press) travaille également sur quelques projets de traductions. Donc oui, j’aimerais voir de plus en plus de livres accessibles en traduction pour les lecteurs malaisiens.
M.M.: C’est une très bonne chose que davantage d’éditeurs se mettent à publier des œuvres traduites, notamment dans des styles qui s’adressent à un plus large public. Je trouve ça fabuleux que les lecteurs de langue malaise puissent avoir plus de choix en termes d’accès à de grandes œuvres littéraires en traduction. C’est un excellent moyen de partager des idées. J’espère voir encore plus de livres traduits en BM.
Ces deux projets menés à bien, y a-t-il d’autres auteurs que vous souhaiteriez voir traduits en malais, et pourquoi ? Et quels sont vos projets respectifs ?
A.Z.: Je suis en train de lire Alif l’Invisible de G. Willow Wilson et j’adore. Mais je crois que ce livre est un peu trop long par rapport à ce qu’Amir recherche pour Fixi Verso. Qu’est-ce que j’aimerais voir traduit en malais ? The City & the City de China Miéville. C’est un de mes livres préférés et j’aimerais qu’il soit lu par plus de monde. En ce moment, je travaille à mon troisième roman ainsi que sur quelques scénarios. Mais ne retenez pas votre souffle pour autant : rien ne sortira avant un certain temps.
M.M.: S’il y avait un livre que j’aimerais traduire, c’est Cent Ans de Solitude de Gabriel García Márquez. C’est l’un de mes préférés et j’admire sa complexité. Sur le plan personnel, ce serait un véritable défi. Pour l’instant, je n’ai pas d’autres projets de traduction car je viens de commencer ma maîtrise au Royaume-Uni et mon emploi du temps est très chargé. Mais j’aimerais bien m’y remettre prochainement. En tout cas, je suis reconnaissante envers Amir et Fixi de m’avoir donné l’opportunité de mener à bien cette traduction.
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