Shirley Geok-lin Lim, poète et romancière née à Malacca, vivant aujourd’hui en Californie, se souvient de la vieille maison, de la courbe de son escalier en particulier, en 1980 (« La visite à Malacca » in Monsoon History) :
Quelqu’un vit dans la vieille maison :
Des lettres couvertes de feuille d’or décorent les portes.
Les escaliers de bois noir s’élèvent encore
Et s’enroulent comme des bras de femmes élancées
Menant aux étages supérieurs.
Elle est comme je me la rappelais,
Mais pas elle-même, pas vide, propre.

Table de billard anglais.
Plus récemment, l’écrivain américain P.F. Kluge, de passage à Malacca pour le National Geographic Traveler, décrit l’une de ses maisons en 2008 (The Charm of Old Asia) :
« Somerset Maugham décrit la vaste maison dédaléennes du marchand chinois, et c’est ce genre d’endroit que mon ami et sa femme chinoise, née à Malacca, habitent au cœur du vieux Malacca, « la rue des Millionnaires », autrefois résidence des administrateurs coloniaux hollandais, plus tard des hommes d’affaires chinois enrichis par l’étain le caoutchouc.
La maison ne se révèle pas depuis la rue. Comme la plupart des maisons du vieux Malacca, elle n’est pas plus large qu’un garage pour deux voitures. Taxée suivant leur largeur, les maisons de Malacca furent construites étroites. Et très longues. C’est ainsi que cette maison ne semble pas finir. On traverse d’abord une terrasse couverte, puis une salle de réception occupée par une table de billard anglais, et séparé par des panneaux de bois, un salon, et puis un petit bar en face d’un escalier, ensuite vient un puits d’aération, ouvert sur le ciel et planté de palmiers. Un autre salon précède la bibliothèque, puis un autre escalier et un bassin à poisson dans un second puits d’aération, suivie d’une salle à manger, et d’une cuisine ouverte sur un jardin d’herbes et de simples.
A l’étage, des moustiquaires se balancent sur des lits accueillants : une chambre pour mes amis et deux autres pour les invités. Je remarque des bois foncés, des carrelages rafraîchissants et des ventilateurs aux plafonds, de l’art moderne et des photos en noir et blanc du vieux Malacca. Je remarque des étagères de livres. C’est une maison qui accueille des guppies, des geckos et moi, un endroit où les gin-tonics sont servis à la température ambiante, où de douces brises ponctuent des conversations lentes. »
Ce qui est frappant, c’est la ressemblance de ces maisons. Si la fortune des Babas varient et donc la richesse de leurs maisons, par contre le plan, la structure interne est identique à l’image d’une communauté homogène, ayant les mêmes besoins religieux et sociaux à satisfaire.

Tan Cheng Lock.
Arrêtons-nous devant le numéro 111, la maison de celui qui donne aujourd’hui son nom à la rue, avec Alice Scott-Ross, sa fille cadette en 1990 (Tun Dato Sir Cheng Lock Tan).
« Les plâtres aux textes colorés qu’on trouve sur les murs au dessus des portes et des fenêtres illustrent des dictons de la sagesse chinoise comme « Santé, paix et tranquillité », « Neuf bénédictions », « Fertilité aussi nombreux que les sauterelles », « Trois gloires », « Heureux de faire de bonnes actions », « Forger son caractère », « Ne pas penser à mal », « Tolérance et paix intérieure », « Bon présage», « Comportement convenable », « Droiture et paix », « Joie en abondance », « Politesse », et « Salle de la mémoire ancestrale et des pensées filiales »…
Au dessus de la porte d’entrée est accrochée une plaque de laque noire avec l’emblème de la famille Tan, les caractères chinois gravés dans le bois de la plaque sont couverts de feuille d’or. »
Marchons vers l’extrémité de la rue en compagnie de Cris Pristay, journaliste au Wall Street Journal, juste deux mois avant l’inscription de Malacca au Patrimoine universel de l’Unesco (The Memory Keepers) :
« La porte a été scellée et les fenêtres condamnées. Seule la façade tient encore debout, derrière le mur qui s’écroule, on devine une structure en béton, massive, avec des ouvertures de la taille du poignet qui permettent aux salanganes d’entrer et de sortir. L’enregistrement, d’un gazouillement d’oiseau continu, emplit l’air, attirant de nouvelles salanganes. (A l’intérieur, il est probable qu’un brouillard permanent est vaporisé pour maintenir une humidité importante, simulant l’environnement naturel de la salangane.) C’est parce que la volière est illégale : d’après les lois de protection du patrimoine, toute rénovation dans la zone protégée au cœur de la cité exige une autorisation gouvernementale, et doit suivre des directives strictes destinées à protéger ces bâtiments. Mais les douzaines de « maisons d’oiseaux » sont un secret de Polichinelle. Les gazouillements enregistrés et les salanganes qui passent disent à n’importe quel passant ce qui se passe derrière la façade.
S’ils permettent cela de continuer, quel est le futur du tourisme ici ? »