Malacca Littéra-Tour (4/6)

En 1843, le Dr. Melchior Yvan accompagne comme médecin, la mission diplomatique française de Théodore de Lagrenée en Chine pour obtenir l’ouverture des ports aux Français. La Sirène fait escale à Malacca. (Six Months among the Malays and a Year in China). Ses pas l’amènent à l’entrée de la rue des Forgerons :

« Notre attention fut attirée par quelques lumières très brillantes, qui semblaient venir d’un quartier particulier de la ville, et qui, nous dit-on, venaient d’une rue exclusivement occupée par des forgerons chinois. La lame du kriss, le célèbre campilan, et les lances en fer tellement en faveur parmi les Malais, sont manufacturés par ces habiles artisans. Ils sont nus des cuisses aux pieds, et du sommet de la tête à la poitrine, et travaillent avec grande assiduité, et dans un silence total, tandis que la lueur de la flamme et le fer chauffé à blanc, jettent une lumière claire sur leurs peaux colorées d’or.
Et ici je voudrais offrir un mot de sage conseil aux futurs voyageurs, et voudrais leur recommander, en rentrant de leurs voyages, d’acheter à Paris le kriss, campilan, casques, et narguilés, qu’ils peuvent souhaiter offrir à leurs amis; ce faisant, ils épargneront considérablement leurs poches, et ils achèteront les mêmes impostures pour la moitié d’argent. »

Aujourd’hui, seul M. Tan Chin Sin, quatrième génération de forgerons, allume encore la forge de temps en temps pour aiguiser des forets.

Rehman Rashid est un journaliste malaisien. Après un exil volontaire, il entreprend un voyage pour comprendre son pays (A Malaysian Journey). A Malacca, il revisite le mythe d’Hang Tuah. En 1991 dans la rue du Village des Coolies, devant le tombeau présumé d’Hang Jebat :

« Tak Melayu Hilang Di Dunia. Il est préférable de fuir plutôt que de périr ; ainsi on peut survivre et se refaire, pour se battre un autre jour.
Donc la traduction traditionnelle de la phrase d’Hang Tuah reste vraie : en vérité les Malais n’ont pas disparu du monde. Mais seulement parce qu’ils ont su quand il le fallait, courir. Comme tous les bons joueurs, ils ont su quand passer la main.
« Pensez-vous que quelqu’un acceptera cela ? demandai-je à Aloysius, quelque peu incrédule malgré sa présentation convaincante.
– Non. Hang Tuah est trop important pour eux maintenant. Et pour toutes les mauvaises raisons. Il a été un personnage historique éminent à la cour du Sultan Mansûr Shah, c’est tout. Il a mené une vie romantique, et les scribes de l’époque étaient tous romantiques. Lisez simplement la Sejarah Melayu ou l’Hikayat Hang Tuah. Des romans ! Mythes, légendes et contes de fée. Vous devez vous montrer extrêmement prudent si vous voulez les utiliser comme des sources historiques. Mais aujourd’hui la légende l’emporte sur l’histoire. Si je devais suggérer aujourd’hui que Hang Tuah fut autant un stratège qu’un guerrier, pensez-vous que les gens le mettraient à son crédit ? Non, tout ce qui compte est qu’il a tué Hang Jebat. »

Comment imaginer un seul instant que le sultan ait pu laisser construire un mausolée en l’honneur du premier rebelle de l’histoire de Malacca ?

François-René Daillie, arpente successivement la rue des Forgerons, la rue des Orfèvres et puis la rue du Temple. Il fut le premier directeur de l’Alliance Française à Kuala Lumpur en 1961, il est de retour en Malaisie à la fin des années 1980 (Élisa ou la maison malaise) :

« D’un côté, gris cendre, une forge déserte au feu éteint sommeille, l’enclume à la bigorne rouillée, pas un outil, jour de repos. Sauf pour le marchand de cercueils d’en face, qui en expose deux sur des tréteaux le long du trottoir, on meurt aussi bien le dimanche, faites votre choix !
La mosquée de Kampung Kling dresse son toit de pagode à quatre pentes, son minaret carré percé comme un pigeonnier de petites ouvertures, sa cour vide à cette heure, lieu paisible sous la lueur grisée du ciel dont se moirent les dalles arrosées de frais.
Un magasin offre à la vente toutes sortes d’objets en papier, maisons, jolies femmes, limousines, victuailles, et même de l’argent factice – beaucoup moins cher que le vrai – que l’on brûle en offrande aux morts pour qu’ils ne manquent de rien là-haut.
Ils errent un moment dans les cours d’un temple chinois, où des femmes, des enfants assis autour d’une table, quelques hommes aussi, indifférents aux visiteurs, se recueillent tandis que s’élèvent en volutes blanchâtres, à peine brouillées par d’infimes courants d’air, les minces filets de fumée d’encens. »

Vingt ans plus tard, Devi Naidu Renuga, la Malaisienne, et son mari français Georges Voisset, tous deux universitaires, dans leur périple du nord au sud de la Péninsule (Malaisie, le pays d’entre-mondes) empruntent les mêmes rues :

« C’est de l’époque hollandaise que date le plus ancien temple hindou de Malaisie (1781), le temple Sri Pothaya Moorthy, construit dans la rue des Orfèvres en plein centre ville. A deux pas du temple chinois, Cheng Hoon Teng, qui date lui de 1646, et de la mosquée dite de Kampong Kling, d’architecture typiquement javanaise, et qui date de 1748. On a là le plus ancien ensemble manifestant l’harmonie des cultes qui a caractérisé la Malaisie…
Les quelques centaines de Chitty demeurés à Malacca et qui ont choisi de rester groupés vivent aujourd’hui à Gajah Berang, un petit lotissement de Malacca. »

<  3  –  4  –  5  >