Malacca Littéra-Tour (4/5)

C’est en descendant sur le versant sud au milieu des grands arbres et des pierres tombales que l’on réalise le mieux que la colline a peu changé depuis le XIXème siècle. Après la destruction des fortifications par les Anglais, la colline est devenue un parc, un cimetière, couronnée par une ruine romantique où ne vivent plus que deux familles, celle du Résident et celle du Chapelain. La ville fortifiée des Hollandais et des Portugais n’existe plus, elle est décrite avec une grande précision par Manuel Godinho de Eredia en 1606 (Description of Malacca, Meridional India and Cathay). Il est né à Malacca d’un père espagnol et d’une mère Bugis, mariés par François-Xavier en 1545, il a grandi à Malacca. Entré chez les Jésuites, il les quitte pour devenir un cartographe et un descobridor officiel :

« A l’intérieur des murs étaient situés le Château, le Palais du Gouverneur, la Résidence de l’Évêque, la Salle du Conseil, la Salle des Frères de Miséricorde. Il s’y trouvait en tout cinq églises, nommément, la Cathédrale de Notre Dame de l’Assomption, avec son chapitre et siège épiscopal, l’Église de la Confrérie de la Miséricorde Notre Dame de la Visitation, l’Église de Notre Dame de l’Annonciation dans le Collège de la Compagnie de Jésus au sommet de la colline, l’Église de Saint Dominique dans le Couvent des Dominicains, et l’Église de Saint Antoine dans le Couvent de Saint Augustin. Il y avait aussi deux Hôpitaux… A l’intérieur des murs de la forteresse vivent 300 hommes Portugais mariés avec leurs familles et une garnison de soldats pour sa défense. »

En approchant du dernier vestige de la forteresse, Porta de Santiago, on ne peut manquer d’évoquer Le Camoëns ou Luis Vaz de Camoes, le poète de la Renaissance portugaise, exilé en Orient entre 1550 et 1570 où il compose 10,000 vers à la gloire de la conquête portugaise (Les Lusiades). Il a fait naufrage en Mer de Chine du Sud, où il a perdu sa compagne mais sauvé son manuscrit :

« Et toi, Malaca, cité fière et opulente, qui t’élèves au milieu des mers de l’Orient, tu n’éviteras pas le joug du grand Albuquerque; ni tes flèches empoisonnées, ni tes criss meurtriers, ni les cimeterres des Malais et des Javanais, ne pourront te garantir. Tu céderas à la fortune du Portugal…
Voyez la ville de Tavoy sur les confins du grand empire de Siam; la côte de Ténasserim; celle de Quéda qui produit le meilleur poivre de ces contrées; Malaca dont vous ferez le centre et le dépôt des richesses de l’Orient, Malaca que l’ont croit être l’ancienne Ophir. On dit que l’impétueux océan s’ouvrant un passage entre cette ville et Sumatra, sépara ces deux contrées, qui réunies ensemble formèrent la fameuse Chersonèse d’Or, nom qu’elle devait à ce riche métal qu’elle portait dans son sein. »

Symbole d’oppression, on trouve souvent la forteresse de Malacca dans une des formes poétiques les plus populaires de l’archipel : le pantoun.

« Il s’est écroulé le fort de Malacca
L’histoire sans détour nous le dit
Le pantun malais c’est notre culture
Le trésor hérité de nos ancêtres »

Usman Awang.

Usman Awang, un des plus grands poètes de la Malaisie contemporaine, a aussi écrit un roman (Scattered Bones), un seul où il raconte son expérience de policier à Malacca pendant l’Etat d’Urgence, cette guerre qui de 1948 à 1960 n’avoua jamais son nom pour ne pas effrayer les compagnies d’assurance :

« Le discours ondulait, se diffusant dans le cœur des auditeurs, y compris des jeunes policiers qui écoutaient tranquillement. L’homme clôtura son discours avec un pantun:

Sur les ruines du fort de Melaka
Nous construirons l’indépendance
Nous devons nous rassembler
Pour défendre notre héritage »

Porte Saint-Jacques.

C’est en se tenant face à la Porte Saint-Jacques que l’on découvre qu’elle est sans doute moins portugaise qu’on ne le dit. Si l’on en croit Balthasar Bort, gouverneur hollandais de Malacca entre 1665 et 1679 (Report left, on his departure thence to Batavia, to his successor, Heer Jacob Jorisz Pits, Councillor Extraordinary of India, for his use) :

« En souvenir du fait que Malacca fut gagnée et vint en possession des Provinces Unies par l’épée, un homme armé d’une épée au poing, ainsi que la marque générale de la Compagnie, furent ajoutées aux armes de la ville à savoir une jonque chinoise, parce que les Portugais conquirent et se rendirent maître de la place sous le couvert de commerçants chinois.
Quelques nouveaux travaux furent aussi réalisés, ainsi une solide entrée en pierre, ayant sa chicane, de la largeur et de la longueur nécessaire, et ayant de grandes doubles portes avec un guichet. Elle fut construite en 1669, parce que l’entrée existante quand j’arrivai étaient vieille, mauvaise et inadaptée à cet excellent et puissant fort. Je trouvai bloquée l’entrée. A la nouvelle porte, il y a des escaliers de pierre par lesquels on monte et on descend du mur et elle a de chaque côté, des corps de garde en pierre, commodes avec leur cuisine. »

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