Selangor Littéra-Tour (5/6)

C/ Un regard croisé

Malaisie, le pays d’entre-mondes, de Renuga Devi Naidu et Georges Voisset (Perséides, 2010).

Il me plaît pour clôturer ce chapitre de vous présenter l’ouvrage qu’un couple de voyageurs atypique, Renuga Devi Naidu et Georges Voisset ont commis en 2010, Malaisie, le pays d’entre-mondes. Il ne s’agit pas d’un guide de voyage et son cortège de renseignements pratiques. Nous renouons ici avec la grande tradition des récits de voyage. L’originalité tient au fait qu’il est écrit à deux. Lui, un fin connaisseur de la chose malaisienne, est français et elle, son épouse, est née et a grandi dans le pays. Il s’agit donc d’un journal de voyage où le regard extérieur et le regard intérieur alternent, comme à saute-mouton, pour donner naissance à un véritable discours amoureux sur la Malaisie. L’intérêt supplémentaire réside dans la relation très étroite que nos auteurs entretiennent avec Henri Fauconnier, l’amour de la Malaisie, des mots et du genre pantoun.

Là encore, je me limiterai à l’aire géographique qui nous intéresse ici. Ce n’est peut-être pas par hasard si au début du voyage, dès l’arrivée, nous sommes à Kuala Selangor, endormie, dominée par sa colline et ses singes quémandeurs, devant le phare blanc, où Georges déplore la construction d’une affreuse cage métallique pour observer la lune lors du Ramadan.

Le livre est un itinéraire du nord au sud de la péninsule, d’Alor Setar à Johor Bahru, avec une incursion du côté de Kuching au Sarawak. Mais à l’autoroute Nord-Sud, nos auteurs préfèrent les chemins de traverse où s’invitent tour à tour le cinéma et les fêtes, la gastronomie et les légendes, la littérature et la peinture, la politique et la religion C’est aussi une promenade dans la mémoire de la Malaisie, des port-entrepôts de la Vallée de la Bujang à la nouvelle reine des Détroits, Singapour.

Hors des sentiers battus, un chapitre est consacré à la Maison des Palmes où Georges évoque l’aventure fabuleuse du caoutchouc, l’or blanc de ce temps-là mais évoque aussi le revers de la médaille : l’arrivée, la mort, les souffrances du saigneur anonyme, le coolie tamoul. Renuga évoque les fêtes religieuses hindoues, en particulier la plus importante d’entre elles, pour laquelle plus d’un million de pèlerins (et de touristes) convergent chaque année aux grottes de Batu, Thaipusam.

Nul ne s’étonnera que les villes occupent une place prépondérante dans un pays qui s’est rapidement industrialisé et urbanisé. Klang, mentionnée ne possède aucun des atouts susceptibles d’attirer le voyageur. KL, comme on appelle familièrement Kuala Lumpur aujourd’hui, écrit Georges est une ville dégingandée, faite de noyaux urbains reliés par un enchevêtrement d’autoroutes. C’est une ville-mosaïque. Merveilleuse image, les tours Petronas, écrit-il ressemblent à deux porte-mines « Critérium ». Et Renuga de nous promener dans Petaling Street, son marché de nuit, ses pickpockets et ses contrefaçons, ou bien encore à Putrajaya, véritable Versailles malaisien !

Un siècle après, singulière correspondance avec Claudius Madrolle, Georges écrit de Johor Bahru, que c’est une ville défouloir pour des Singapouriens qui s’affranchissent là, des obligations et des interdits qu’ils se sont inventés chez eux. Singapour, la ville du lion, cité-État indépendante, république laïque, « sœur ennemie », refouloir, est devenue une contre-mémoire de la Malaisie.

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