1/ Le voyage en Malaisie à la Belle Époque (1900-1914)
A/ L’aube d’une ère nouvelle
L’avènement de l’âge de la vapeur et l’ouverture du canal de Suez, l’exposition universelle de Paris en 1889, la première exposition coloniale française, qui sera suivi de celle de 1907 au bois de Vincennes vont donner naissance à un nouveau type de voyage. Un voyage sans but économique (exploitation), sans but militaire (annexion), sans but politique (colonisation), sans but religieux (conversion) ou sans but scientifique (exploration). Après les colonisateurs, les explorateurs, les militaires et les missionnaires voici venir le curieux, le touriste et le visiteur.
Jusqu’alors l’amateur d’exotisme devait se contenter d’être un voyageur en chambre, en lisant les récits, vrais ou imaginaires, des autres. La conquête achevée, la sécurité assurée, une nouvelle ère peut commencer. Les infrastructures coloniales n’ont pas été créées pour le tourisme, mais elles vont rendre son développement possible.
Les navires à vapeur vont bientôt sillonner les océans. Fin octobre 1879, alors que l’hiver anglais s’annonce rigoureux, un riche marchand de Liverpool, Monsieur Falk embarque pour Singapour. Il sera de retour en mars de l’année suivante. Un nouveau type de voyageur vient de naître, le croisiériste ou le voyageur au long-court. « Le voyage est facile et confortable, écrit-il en conclusion de A Winter Tour through India, Burma and The Straits. Les hôtels sont bons, la nourriture excellente, le climat délicieux et la société partout irréprochable et anglaise. » Pour ne mentionner que les compagnies françaises, les Messageries Maritimes nées à Marseille en 1851, deviendront en 1871 la Compagnie des Messageries Maritimes. Et un an plus tard seront créés au Havre, les Chargeurs Réunis. Paris n’est plus qu’à un mois de Singapour !
Les frères Sarkies vont ouvrir les grands hôtels mythiques de la région. En 1885, l’E&O à Penang, en 1887, le Raffles à Singapour, en 1901, le Strand à Rangoon, en 1905, le Grag sur la colline de Penang et en 1926, le SeaView sur une plage de Singapour. Sans compter l’Adelphi de Singapour et le Majapahit de Surabaya que gèrent leurs cousins. Il faut également mentionner le réseau des Resthouses créé par les Britanniques, sans équivalent chez nous. La Resthouse ou « Maison de repos » est tout à la fois le gîte assuré pour le fonctionnaire en visite hors des grands centres urbain et une base de villégiature, ainsi nous évoquerons, à la montagne (Bukit Kutu, The Gap), au bord de la mer (Port Dickson, Pulau Angsa) ou sur une source d’eau chaude (Dusun Tua). On compte 87 Resthouses en Malaisie en 1926.
Si l’on en croît Emily Innes, qui décrit en 1885 dans The Chersonese with the Gilding Off (en réaction à Isabella Bird, la célèbre voyageuse anglaise que nous retrouverons plus loin) la vie de la femme du fonctionnaire anglais dans le Selangor, celle-ci n’est que solitude et inconfort. Il n’y a que deux Européens dans tout le district de Langgat où elle vit, elle et son mari. Le développement des infrastructures et les progrès du confort permettront, une génération plus tard, d’accueillir les femmes.
La coordination et la fusion de réseaux ferrés locaux donnent naissance en 1901 aux Chemins de fer des États Fédérés Malais.
Il ne manquait plus que l’apparition du guide de voyage couvrant la région. Ce sera chose faite en 1902 avec la publication du « Madrolle » pour accompagner le visiteur à l’exposition française et internationale d’Indochine qui se tient la même année à Hanoi.