2/ La famille Fauconnier en Malaisie (1910)
Fin octobre 1909, Henri Fauconnier écrit une lettre à ses sœurs à propos de leur premier voyage en Malaisie.
« Quant au programme des réjouissances il n’est pas encore bien établi, mais nous avons des intentions.
1 – Pendant janvier il y a le festival annuel de Pungul : sacrifice de chèvres, cérémonie religieuse, tam-tam, danses et théâtre Tamil.
2 – Au début de février, incendie de 150 acres à Rantau Panjang, pique-nique sur le haut d’une colline pendant l’embrasement.
3 – Dîner chinois à Kuala Lumpur, plats chinois, thé chinois, orchestre chinois, petites baguettes pour manger les ailerons de requins et le vermicelle.
4 – Excursion en pirogue sur la rivière Selangor, départ de Rantau Panjang et arrivée à Kempsey3, tennis et le thé, retour en automobile au clair de lune.
5 – Excursions en automobile au défilé du « Gap », aux grottes « Batu Caves », aux bains de mer de Morib – et en bateau à Pulau Angsa, l’île aux oies, où on mange des huîtres naines.
6 – Grande fête au nouveau bungalow de Rantau, concert, Revue de fin d’année par Henri Fauconnier et Joe de Burlet (elle n’est pas composée, mais ça viendra peut-être).
Enfin je ne parle pas du plaisir de chaque jour, de tout ce qu’il y a à voir, de tout ce qu’il y a à revoir (each other). »
A/ La préparation
En mai 1909, Henri envisage sérieusement d’inviter ses deux sœurs, Geneviève et Marie en Malaisie. Le prix du caoutchouc est bon, les dépenses seront facilement payées. Il est temps de rendre visite à l’enfant prodige. Un nouveau bungalow avec une chambre supplémentaire sera prêt d’ici la fin de l’année. Avec une voiture, un piano (il vient d’acheter un Werner) et un court de tennis tout le confort sera disponible. En juillet, il suggère que leur mère, Mélanie se joigne aux deux sœurs et elles devraient voyager début janvier pour rentrer en France en mars.
Tout d’abord, Henri précise que c’est la meilleure saison pour visiter. La mousson d’hiver, de janvier à mars, est généralement la meilleure saison sur la Côte ouest de la Péninsule, plutôt moins humide. Dans une autre lettre, il explique qu’il pleut tous les jours pendant la saison des pluies et une fois ou deux fois par semaine pendant la saison sèche.

Publicité pour des casques en liège.
Puis il évoque les bagages. Il est assez laconique : « Robes d’été, malles quelconques, achat de petits casques à Port-Saïd, obtention d’une cabine spéciale », et c’est tout.
Enfin, il mentionne les compagnies maritimes, des deux françaises, il recommande les Chargeurs Réunis, où une première classe vaut le prix d’une seconde avec les Messageries Maritimes, mais le bateau est plus lent. Les compagnies britanniques sont bien sûr l’alternative. En Septembre, le nouveau bungalow est en construction au sommet d’une petite colline4. Devant le bungalow se trouve la rivière, derrière la plantation et au-delà, la jungle. Les dames sont attendues pour mettre la touche finale, à savoir la décoration.
Henri revient sur le climat, la température n’est pas très élevée. Une douche dans le milieu de la journée est suffisante pour se sentir frais jusqu’au soir : « C’est comme en Russie, où le froid est plus facile à supporter qu’en France, parce que les gens savent ce qu’il faut faire. »
Pour convaincre sa mère (une catholique fervente) à venir, il promet qu’ils iront assister à la messe de minuit à Kuala Lumpur avec les missionnaires français5.
Pour répondre aux questions de ses sœurs, qui n’ont pas dû se satisfaire de son laconisme initial, il revient plus précisément sur l’équipement, « Toilettes d’été simples, le blanc ou tout au moins le clair de préférence, chapeaux ordinaires, mais doublés à l’intérieur de quelque étoffe opaque ou toile cirée. En plus il vous faudra acheter à Port-Saïd des chapeaux en liège ou moelle de sureau doublés de vert, qui ne sont pas beaux, mais seront utiles à certaines heures du jour. Chaussures quelconques, quelques espadrilles seront appréciées at home, surtout si elles sont montantes, à cause des moustiques le soir. Dans tous les cas, ne pas s’encombrer de bagages. On trouve tout ce qu’on veut ici en cas d’oubli. »
Jean Audoin, ami de Posth et qui a embarqué pour l’aventure avec Henri en 1905, mais beaucoup plus prosaïque que lui, se fait plus précis avec Mélanie. Il faut choisir les navires à vapeurs les plus récents et les plus grands, car ils sont plus confortables, ainsi que ceux qui font le moins d’escales. Il faut réserver le plus tôt possible pour obtenir des cabines sur le pont. Il conseille également les Chargeurs Réunis, il n’y a qu’une seule classe, les repas sont pris avec les officiers, et la nourriture est bonne. Inutile de s’embarrasser de vêtements chauds, deux jours après avoir quitté Marseille, il ne fait plus froid. C’est à Marseille – et non à Port-Saïd – qu’il faut acheter les casques, légers, ceux en moelle de sureau sont les meilleurs. Il faut prévoir un voile de mousseline (verte ou bleue) pour attacher le casque et protéger le teint. Les chapeaux d’été européens sont commodes pour le soir, après 16 heures, pour la marche ou pour le tennis. Ne pas prendre de chaussures, elles sont moins chères et plus jolies à Singapour. Enfin, aux escales, une femme ne peut descendre à terre qu’accompagnée d’un homme pour éviter les ennuis.
B/ La traversée
Si la préparation au voyage c’est déjà un peu le voyage, la traversée en est une composante essentielle. Surtout à une époque où la traversée dure pratiquement un mois. Comme l’a souligné fort justement Pierre Labrousse lors de la Rencontre de Barbezieux en 2015 « Le récit de voyage au temps de Malaisie », le navire est un microcosme, le défilé des côtes vues du bastingage et les escales participent à l’approche de la destination.
Cette traversée nous est assez bien connue par les lettres que Mélanie écrit à son plus jeune fils, Charles, envoyé en Angleterre pour parfaire son anglais. Mais aussi par le livre pour enfants de Geneviève Micheline à bord du Nibong, publié seulement en 1932, mais qu’elle a écrit à son retour de Malaisie entre 1910 et 1913. « Traversées » est aussi le titre d’une des nouvelles qu’elle a publiées en 1960, si Geneviève prend le prétexte de la première traversée de son frère Henri en 1905 que celui-ci a raconté en détail dans sa correspondance à sa famille, elle y ajoute le souvenir de ses propres traversées. Nous avons également des lettres de missionnaires français en route pour l’Indochine présentées par Jean-Pierre Mialaret dans L’escale de Singapour, en 2013.
Dans ses souvenirs qu’elle a rassemblés dans Mango & Mimosa en 2000, Suzanne St Albans nous raconte le voyage et le séjour d’une enfant d’une dizaine d’années venue rejoindre son père Émile Fesq (planteur et ami d’Henri) sur la propriété voisine d’Assam Java. Nous sommes en 1929, l’année de la Grande Dépression, mais les choses n’ont guère changées vingt ans après.
5. Il s’agit des MEP (Missions Étrangères de Paris).
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