La première sortie a sans doute été consacrée à la visite de la plantation. Nous sommes parties à 5h00. Le pont sur la rivière Selangor n’a pas encore été construit, il faut donc traverser en barque, ce qui n’est pas très rassurant car un crocodile y vit.
Mélanie n’en dit mot, mais le grand spectacle promis par Henri a sans doute eu lieu, à savoir l’embrasement de 150 acres à Rantau Panjang. C’est la première étape d’une plantation. C’est un moment important qu’Henri à chaque fois mentionne dans sa correspondance. Chaque parcelle gagnée sur la forêt est une victoire du planteur. Henri reviendra beaucoup plus tard sur cet embrasement de la forêt dans ce qui aurait pu être le chapitre manquant de Malaisie, où l’on ne s’attaque pas sans péril aux esprits de la forêt, sans faire au préalable des offrandes propitiatoires…
Par contre les femmes évoquent les fêtes auxquelles elles ont assistées. Au plus près du bungalow, les deux communautés sont la malaise dont les villages bordent la rivière Selangor et l’indienne qui vit sur la plantation.
Ce fut d’abord une grande fête malaise. Ils ont mis deux jours à construire la scène écrit Mélanie, ils ont dansé, ils on chanté, ils ont bu… Nous avons à peine dormi cette nuit-là. En 1917, Madeleine nous donne sa version où l’une des deux danseuses professionnelles est ivre. Beaucoup de bière, de cigarettes et de gâteaux circulent. Les hommes sont habillés comme des Européens. Henri reviendra sur le ronggeng dans Malaisie. Plus tard Marie évoquera également les pétards de la fin du Ramadan, mais en 1910, elles n’ont pas pu les entendre, le Ramadan ayant eu lieu en septembre et octobre.
Si elles sont arrivées trop tard pour le festival indien de Pongal, en janvier, il est fort probable qu’elles ont été invitées à un mariage tamoul dont Marie évoque les cadeaux, les danses, la musique, la lutte et le duel au bâton, le rouge de la mariée et le blanc du marié. Geneviève décrit un accueil fait de danses et de tamtam où Henry porte un énorme collier de fleurs ou bien, un peu plus tard, « L’autre soir nous avons été au temple sur la plantation pour la clôture d’une série de fêtes… Tu sais comme nous aimons les fêtes tamoules. Les voix roulantes, l’odeur chaude de kelapa (noix de coco) sur les chevelures. Les agapes ont été fort bruyantes. » Notre visite est un événement, écrit Mélanie, beaucoup de gens viennent nous rendre visite. Hier, le médecin anglais et sa femme. On va prendre le thé ou jouer au tennis dans les bungalows voisins. Le Club de Kampung Kuantan ne verra le jour que cette année là. Il deviendra le centre de la vie sociale pour les Européens du district, qu’évoque Madeleine en 1917, et que l’on retrouvera plus tard dans Malaisie.
La première grande excursion hors du district a sans doute été consacrée à Kuala Lumpur que Mélanie a appréciée. Le voyage a été délicieux, la route serpente à travers cocotiers et palmiers, à travers les montagnes et les villages chinois. On voit beaucoup d’enfants. Kuala Lumpur est très animée, on rencontre surtout des Chinois et des Malais, et puis quelques Anglais à l’hôtel2 où l’on déjeune avec un officier belge (il s’agit d’un oncle de Joe de Burlet). La conversation a porté sur les coolies, ils sont bien malheureux, on les bat avec une baguette de rotin quand ils sont paresseux ou quand ils s’échappent. C’est le seul moyen, paraît-il. Henri est sévère mais juste. Le gouvernement doit protéger les coolies parce que nombre de planteurs sont cruels.
Le missionnaire français de Kuala Lumpur est venu leur rendre visite, il en a profité pour bénir la maison. Il visite régulièrement la plantation voisine de Sungei Rambai car certains Tamouls sont catholiques. Kuala Lumpur revient souvent au programme. Les Dames Fauconnier sont invitées pour le dimanche des Rameaux par les Dames de Saint-Maur (ou Sœurs de l’Enfant-Jésus). Le couvent est alors installé à Brickfields, il ne déménagera sur Bukit Nanas qu’en 1912. C’est la première fois que les sœurs reçoivent la visite de dames françaises. Elles visitent les salles de classe, l’orphelinat et la crèche. Puis elles font une excursion à la source d’eau chaude de Dusun Tua, située dans la montagne tout près de la rivière Langgat. Bain et thé à la Resthouse puis en rentrant sur Kuala Lumpur on visite une maison chinoise où un jeune couple de Français vit. Grandes pièces, des meubles incrustés de nacre, autel avec une statue de Bouddha… Dîner à l’hôtel et retour au couvent en pousse-pousse. Elles reviendront à Kuala Lumpur la semaine prochaine pour Pâques.

L’orphelinat des Dames de St Maur.