Selangor Littéra-Tour (3/6)

Que manque-t-il des suggestions d’Henri qui n’ont pas été évoquées ? Le Gap, les grottes de Batu, Morib, Pulau Angsa. Si les trois femmes n’y sont pas allées lors de ce premier séjour, par faute de temps, de disponibilité, de moyen de transport ou par prudence eu égard à Mélanie, les plus jeunes y sont allées et les ont évoquées plus tard. En particulier Henri aime le Gap, qu’il décrit dans Malaisie, et les grottes de Batu.

L’excursion à Malacca était prévue. Henri s’est rendu à Malacca pour visiter une plantation. Les trois femmes devaient prendre le train de sept heures, pour aller le rejoindre, arrivée prévue à midi. Elles ont raté le train !

Singapour a été visitée. Le bateau de retour est prévu pour le 8 mai, mais les trois femmes quittent Rantau le 3 mai pour passer quelques jours à Singapour que Charles Parant, une relation familiale de Limoges et qui travaille à la succursale de Singapour de la Banque d’Indochine, doit leur faire visiter. Il va bientôt demander Marie en mariage. Singapour, c’est la Chine. Geneviève y a passé de longs mois pendant la convalescence de sa sœur Marie en 1911, « surprise d’apercevoir si peu de Malais dans Singapour, énorme cité sur un minuscule îlot projeté à la pointe d’une Malaisie où Malacca n’est plus qu’une bourgade… », écrit-elle en 1960 dans « Péninsule », une des nouvelles d’Évocations.

Il faut ajouter deux endroits chers aux Fauconnier qu’aucun guide ne mentionne. Il s’agit d’abord de Kuala Selangor. Il faut évoquer ici le récit The Golden Chersonese and the Way Thither, de l’intrépide voyageuse anglaise, Isabella Bird qui visite la Péninsule en 1879.

Elle débarque à Klang qu’elle trouve « triste et délabrée ». Elle mentionne Kuala Lumpur mais ne s’y rend pas, ce n’est encore qu’un camp de mineurs chinois. Elle paie une visite au sultan qui vit alors à Langgat mais surtout elle fait escale à Kuala Selangor « un endroit sordide, d’un côté un village de pêcheurs au dessus de la boue de la mangrove, de l’autre une rue de boutiques chinoises avec son tripot ». Des marches taillées dans la terre lui permettent de grimper jusqu’au fort hollandais. Si l’on en croit Ambrose Rathborne, un ingénieur australien, dans Camping and Tramping in Malaya, les choses n’ont gère changées en 1898. Par contre douze ans plus tard, on déjeune à la Resthouse située sur la colline, avec vue sur la mer et ses jonques. On se promène à pied jusqu’au phare où Geneviève se souvient des semnopithèques à coiffe et de leurs petits orange. Charles écrit à ses sœurs qu’il les imagine au milieu des palmes et des vieux canons savourant de gros dourians.

Et ensuite, Jeram, qui est la plage des planteurs du district, située entre Kuala Selangor et Port Swettenham. C’est là que Geneviève qui vient d’épouser René Van den Berg, un planteur également, passera sa lune de miel. Une cabane posée sur la plage au milieu des cocotiers, la journée s’écoule en sarong, avec la mer et les couchers de soleil. Geneviève apprend à tisser des nattes de pandanus avec les femmes du village malais pendant que René chasse le crocodile sur la Sungei Buloh (rivière aux bambous). Jeram, c’est les canards, les jonques et les pêcheurs, la boue, les hérons et les aigles et surtout les couchers de soleil.

Mais l’endroit qui remporte tous les suffrages, chez les Fauconnier comme dans les guides, où l’on ne va pas aussi souvent qu’on le souhaiterait car trop souvent complet, est le mieux décrit par Geneviève. « Ce séjour à la montagne reste comme un souvenir de rêve. Bukit Kutu, c’est l’Orient et c’est l’Occident dans toutes leurs beautés confondues – les roses sous les fougères arborescentes, les chèvrefeuilles et les hibiscus, les gardénias, les bougainvilliers, les dahlias, les lys, le soleil d’août, la fraîcheur d’avril, l’immensité des plaines comme dominées de la poupe d’un fantastique navire, le choc des monts en demi-cercle se heurtant comme des flots et dressant leurs crêtes sur le ciel. Et quelle forêt de rêve ! Plus fantastique que les rêves d’enfance, plus opaque d’ombres, plus pénétrée de rayons. Des arbres comme nos géants d’ici n’en donnent pas une idée – des lianes, des mousses, des fougères phosphorescentes dans la fraîcheur des ombres. Et l’air – si doux, si pur. »

Henri y reviendra dans une des nouvelles de Visions en 1938. « Le confort pour les Européennes c’est ce qui prime tout, écrit-il dans “Barbara”, elles passent devant les splendeurs de la Malaisie de l’air le plus touristique, elles ne voient pas la jungle, mais les moustiques. Bukit Kutu (le Mont de la Puce), c’est ce que j’ai vu de plus beau en Malaisie, continue-t-il, la vue, le cirque montagneux, la mer, les nuages. Au sommet un roc sombre, énorme, comme une puce qui s’apprête à sauter sur la jungle. » La montée et la descente se font en fauteuil en rotin portés par quatre coolies, qui, dans la nouvelle, se termine les quatre fers en l’air !

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