d’Omar Musa
Appuyez sur lecture.
Nenek suspend des conserves rouillées
à l’arc de sa fenêtre.
Quand la brise déferle
à travers les arbres
et s’infiltre dans les persiennes,
les conserves se font carillons
et plus rien n’est
sunyi
Elle observe la jungle.
Le tintement du vieux fer blanc lui rappelle
le pasar malam,
acheteurs et vendeurs maniant fruits et remèdes,
bracelets aux poignets d’une jeunesse bavarde,
chats sinuant parmi les déchets
du lait concentré sur leur nez.
Le tintement de l’étain ronge la bordure
des profondeurs vertes et vides de bruit.
Sunyi – trop calme, dit-elle
oubliant un instant le sang sur le sol
Stop.
Retour rapide.
Lecture.
Quand la vie du village ressert son poing,
Nenek et Datuk
prennent le bus jusqu’à la frontière de Brunei
à sept miles de Mesapol.
Parang à la main,
ils pataugent dans les langes de verdure,
de lianes et d’herbes,
où le vert caresse
et dissimule les sentiers usés,
pli sur pli.
Sève et sueur,
riche pestilence de broussailles.
Encore une colline et la vieille maison surgit –
bardeaux de bois putrides,
désormais abri de singes brailleurs.
Une famille.
Datuk et Nenek les poussent au dehors,
mais sourient
lorsqu’ils installent leur couchage et leur lampe à kérosène.
Ce sont des amis,
qui emplissent l’air d’un doux ramage,
d’éclats de poumons sonores
de sorte que la jungle n’est jamais vraiment
sunyi
Des seaux pendus à une perche en travers des épaules,
Datuk part puiser l’eau de la rivière
et repère l’agitation dans les branchages.
Pause.
De petites mains saisissent le rebord d’une feuille.
Lecture.
Une déchirure se crée dans la verdure
et Datuk voit
des visages qui le dévisagent.
La famille de singes !
Il pousse un cri de plaisir mutin
tandis que les singes
se hissent plus haut et entament leur toilette.
Datuk s’accroupit dans l’herbe lalang
et chante une chanson pour eux.
Homme et singes s’observent,
à l’aise, intrigués.
Pause.
Lecture.
Cet après-midi-là,
quand viennent les hommes armés,
ils demandent à Datuk
s’il a vu des singes par ici.
“Non”, dit-il et les hommes s’en vont.
Mais ils reviennent.
Avance rapide.
images devenues floues – cassette qui bourdonne – BANG ! –
canon de fusil qu’on soulève – BANG ! – monde qui se débobine – BANG !
quelque chose tombe et tombe encore – pas qui se hâtent –
feu d’artifice à l’approche – rouge floraison – vert sur vert qui s’effondre – BANG !
monde en désamour de soi-même – les hommes emportent quelque chose
pour le plaisir pour se nourrir pour le plaisir ?
oublions que la mort est suturée sur chaque branche chaque feuille chaque cœur [d’homme
le silence maintenant plus assourdissant que notre remords
pour briser le silence
briser le silence
briser le
Nenek suspend les conserves à l’arc de sa fenêtre et
les laisse tinter dans le vent.
“Habis sudah monyet di sini”, dit-elle. “Il n’y a plus de singes par ici”.
Des mots comme des bottes dans le sol
lourds comme la terreur et à tout jamais
sunyi
Sunyi, tiré du recueil Parang, paru aux éditions Blast! Publishing (2013).
Traduit et publié avec permission. Copyright © 2013 Omar Musa.