La Princesse Bidasari

© Frédéric Routier

Il y avait une fois…

‘Enfin une vraie histoire!’ Gauvain, prenant le cahier jaune entre ses genoux, enlève ses gants.

*

…un royaume appelé Kambayat.
Ce royaume avait pour souverains un jeune roi et une jeune reine. Tout le monde y baignait dans le bonheur.
Jusqu’au jour où.

*

Le ciel soudain s’obscurcit. Un gigantesque Oiseau Roc fonce sur le Kambayat, suivi de troupes hurlantes d’oiseaux féroces. Le pays tout entier est ravagé. Lorsqu’il n’y a plus rien à piller, l’Oiseau Roc et sa horde commencent à tourner autour du palais.

–  Il est temps de fuir afin de vous préserver, majestés, dit le vizir qui se frappe la poitrine de douleur. Vos majestés doivent à leurs sujets, qui les vénèrent, de se préserver.

La reine est enceinte de sept mois. Le roi décide que le vizir a raison : ils n’ont d’autre choix que de partir se cacher au plus profond de la forêt, en espérant des jours meilleurs.
La souffrance oppresse leurs cœurs. Ils quittent le palais et s’enfoncent dans les ténèbres de la grande forêt. Les ronces et les rotins déchirent les bras de la reine, blancs comme des fleurs de liane murraya, mais elle suit son époux sans la moindre plainte. Au bout de deux mois, elle le supplie de s’arrêter : le terme de son accouchement est venu.
Or, ils venaient d’arriver à une rivière. De l’autre côté, de hautes palissades fermaient le chemin devant eux. Une petite barque était amarrée. C’est là que la reine accoucha d’une petite fille. La reine et le roi, déchirés par la douleur, déposèrent au fond de la barque un coussin de soie de Chine brodé d’or et y placèrent leur trésor, qu’ils couvrirent d’un tissu des Indes qui n’avait aucun égal sur terre. Des palmiers de diamants rouges et de saphirs y étaient brodés.
Je ne vous décrirai pas leurs lamentations; le moment vint où ils reprirent leur voyage, recherchant l’oubli et la paix de mille façons, tandis que se préservait le roi.

*

L’histoire parle maintenant du marchand appelé Prestige des Joyaux, qui possède un immense domaine dans le royaume de LokaPura. Ses coffres débordent d’or, son domaine de rires, mais bien qu’il ait deux épouses et de nombreuses concubines, il n’a pas d’enfant. Un jour qu’il parcourt son domaine, il entend les cris d’un bébé. Il s’approche de la barque, et c’est ainsi qu’il y découvre un bébé. Le tissu sur lequel repose le mystérieux nouveau né est si merveilleux, qu’il indique un très haut rang.
Bidasari – c’est le nom qu’il lui donnera – est élevée par le marchand comme sa propre fille, comblée d’égards par ses épouses. Prestige des Joyaux ne sait rien lui refuser. Cependant, riche autant que bon, c’était un homme avisé. Il avait fait réaliser par le maître de ses joailliers un petit poisson d’or, puis il échangea la force vive de Bidasari avec le poisson, et plaça le petit poisson d’or dans un écrin rempli d’eau pure. Il disposa ensuite l’écrin dans un coffret d’argent. Il fit construire au milieu du parc un temple de marbre, et au milieu du temple, un bassin de porphyre. Il plongea le coffret au fond du bassin, que recouvrit un tapis de lotus jaunes, roses et blancs.

*

L’histoire se tourne à présent vers le roi Johan de LokaPura et son épouse adorée Liane Radieuse. La beauté de la reine était aussi légendaire que son amour pour Johan, mais elle l’avait rendue orgueilleuse et jalouse au fond de son cœur.
Un soir que tous deux jouaient, Liane Radieuse s’adressa ainsi au roi :

– Et s’il arrivait qu’un jour vous rencontriez une jeune fille plus belle que moi, que feriez-vous? La prendriez-vous comme seconde épouse ?

Johan n’eut guère de mal à lui répondre. Jamais, dans le royaume, ne s’était rencontré femme plus belle qu’elle, et jamais ne s’en rencontrerait.
Mais Liane Radieuse, dévorée par un cauchemar qui désormais l’obsédait, revenait chaque nuit auprès du roi avec la même question, quoique tournée de mille manières. Tant et si bien qu’un soir, agacé, Johan lui répondit :

Ô mon précieux trésor, mon bijou,
Ma montagne d’amour mon eau vive,
Puisque c’est d’une fée que tu me parles

Alors j’inviterais cette fée au palais,
À cette unique fin que son incomparable beauté
Tienne compagnie à ton incomparable beauté.

La reine ne put cacher sa fureur, ni le roi son irritation. Dès le lendemain, celle dont le teint de fleur ashoka était devenu noir et hideux fit fabriquer un éventail de fils d’or et d’argent garni de toutes les pierres précieuses possibles et imaginables.
Elle envoya ses fidèles suivantes aux quatre coins du royaume, leur disant : ‘Je veux que vous parcouriez le royaume jusqu’au moindre village, en montrant cet éventail à toutes les jeunes femmes qui le peuplent. Si vous trouvez une jeune fille plus belle que moi, dites-lui que j’enverrai bientôt ma suite pour l’accompagner au palais, où je le lui offrirai en personne.’
Les quatre suivantes visitèrent tous les territoires des nobles du royaume, puis des marchands, puis des savants et des sages, puis jusqu’au plus reculé et misérable de tous les villages. Aucune femme ne leur sembla plus belle que leur reine.
Elles s’en retournaient, lorsqu’elles arrivèrent à l’entrée d’un parc si merveilleux que le palais royal leur sembla soudain ordinaire. Avec mille ruses elles réussirent à se faire introduire et à faire porter l’éventail à l’intérieur de la magnifique demeure. Bidasari, émerveillée, courut chez son père :

– Père, je veux cet éventail, insista Bidasari. Je le veux, je le veux, je le veux.

– Ma fille, répondit le marchand à Bidasari, nous ne savons pas qui sont réellement ces femmes, ni pourquoi elles sont venues jusqu’ici pour t’offrir un tel joyau. Seule une reine pourrait en porter, me semble-t-il, de telle sorte. Puisque c’est un éventail que tu veux, je t’en ferai faire un, deux fois plus beau que celui-ci, fût-il d’une reine. Renvoyons ces femmes, et rentre tout de suite dans tes appartements.

Bidasari obéit, mais dès que le marchand fut retourné à ses charges, elle quitta en cachette son appartement, le plus reculé des appartements des femmes, et sortit rejoindre les colporteuses à la porte du domaine. Celles-ci lui promirent de revenir la chercher, au nom de la reine en personne.

*

Après des scènes de séparations poignantes, voici maintenant Bidasari non pas première Dame de la Cour, comme il lui avait été promis, mais prisonnière de la jalousie et de la méchante reine. Les tentatives du pauvre marchand et de ses épouses auprès du roi, qui ignore tout de ces machinations, ont échoué.
Bidasari est enfermée à l’insu de tous dans un sombre cachot, où la reine vient en personne la battre chaque matin. Bidasari souffre son martyre sans se plaindre,

Belle au teint crème, rose et blanc
Noire, verte et bleue maintenant.

Un jour que la reine battait Bidasari plus cruellement que jamais, la pauvre jeune fille la supplia :

– Ô illustre reine, je ne sais pourquoi vous traitez ainsi votre fidèle servante, mais si vous voulez ma mort, voici ce que vous devez faire. Au milieu du parc du château de mon père se trouve un bassin, et dans ce bassin se trouve un coffret. Dans ce coffret est caché un écrin, et dans cet écrin s’ébat un petit poisson d’or. Mon âme vive y est à l’abri. Si vous passiez un matin, au lever du soleil, cet écrin autour de votre cou, je mourrais immédiatement. Surtout, prenez bien soin, ensuite, de le porter chaque jour pendant trois mois et de ne l’ôter que la nuit, sinon je reviendrais à la vie. Voilà comment vous serez définitivement débarrassée de votre misérable servante.

La reine Liane Radieuse renvoya immédiatement ses suivantes chez le marchand, lesquelles réussirent, après mille ruses, à voler le coffret et à le ramener à la reine. Lorsque parut l’aube suivante, la reine descendit dans le cachot de Bidasari qui l’attendait assise, résignée à son funeste destin. La reine se contenta de soulever l’écrin de son cou, afin de l’exhiber devant Bidasari.
Bidasari commença de s’éteindre, lentement… Avant de s’écrouler sur le sol, elle demanda à la reine que son corps soit ramené chez ses parents. La reine ordonna que l’on retourne immédiatement le corps de Bidasari chez le marchand.
Le soir était tombé. La femme du marchand se pencha, une dernière fois, sur le sein inerte de Bidasari, et là…
Miracle !
Elle sentit son cœur battre, faiblement mais distinctement. Elle installa Bidasari sur son propre lit. La nuit s’installa. Bidasari commença à bouger ses mains, à respirer plus fort, puis elle ouvrit ses yeux et s’assit sur le lit.
Elle raconta tout ce qui s’était passé au marchand, paralysé par ces trahisons. Que faire ? Comment sa parole à lui, pauvre esclave du roi de LokaPura, pourrait-elle jamais être portée jusqu’au souverain, contre celle de la reine en personne ?
Prestige des Joyaux fit construire pour Bidasari une demeure au plus profond de la forêt, là où personne ne s’aventurerait jamais, au cas où la méchante reine déciderait, dans quelques temps, d’envoyer ses suivantes pour vérifier secrètement la disparition définitive de Bidasari. L’Adoucisseur de Soucis – tel est le nom du palais où la malheureuse jeune fille serait désormais mise à l’abri.
Elle avait pour dame de compagnie et pour la distraire Dame Perroquette, la raconteuse d’histoires.

*

© Frédéric Routier

© Frédéric Routier

L’histoire revient maintenant au roi Johan que le désir d’aventure et de chasse décida de partir pour des contrées où il ne s’était jamais aventuré.

– Ô mon seigneur, n’y allez pas, supplia la reine, vous ne savez quels dangers guettent en ces contrées inhospitalières.

– Ô mon précieux trésor, mon bijou! Ma montagne d’amour, mon eau vive, lui répondit le roi, ne soyez pas inquiète pour moi. Que voulez-vous qu’il m’arrive ? Dites-moi plutôt : que vous rapporterai de ma chasse, pour vous plaire ?

– Seigneur, si vous souhaitez me plaire, ramenez-moi un jeune faon aux grands yeux,

Chassez la biche ou bien le cerf,
au bon plaisir de votre majesté.
Je veux un faon aux grands yeux verts
De mes servantes il sera le jouet.

– Je ferai de mon mieux pour vous satisfaire, lui répondit le roi, qu’amusaient les caprices de la reine.

L’équipage se mit en route aussitôt.
Au bout de quelques jours, le groupe des chasseurs atteignit une forêt profonde, où ils découvrirent un étrange palais.

– Nous n’avons jamais entendu parler de palais en ces lieux reculés, dirent les chasseurs au roi.

– Restez ici, leur ordonna-t-il. Puisque je suis venu à l’aventure, je veux aller voir par moi-même qui ose hanter un palais dont vous ignorez même l’existence.

Johan franchit les sept barrières que le marchand avait fait construire autour de l’Adoucisseur de Soucis, et arriva devant une porte d’opale et de marbre. Il grimpa au-dessus et réussit à voir à travers une haute fenêtre.

*

Une fée d’une incomparable beauté sommeillait, tel un océan de miel. Ses longs cheveux s’étalaient comme les tresses des fleurs du palmier d’arec, sur un coussin de brocart vert. Le roi décida de forcer la porte.

Boutons en fleur
pour une main.
Pour un bourdon
cheveux si fins…

Il pénétra précautionneusement dans le palais silencieux, prêt à soutenir l’assaut d’un de ces génies malfaisants qui pullulent dans les forêts. Rien. Il s’approcha de Bidasari, effleura de sa main, tel le bourdon de ses poésies d’enfance, les tresses de ses cheveux: la fée respirait, en tout semblable à une jeune fille. Il se risqua à lui parler doucement, puis à lui toucher le bout des doigts ; puis il essaya de la relever de sa couche. La fée semblait endormie pour toujours.
L’esprit troublé, Johan attendit un long moment, guettant le silence, puis il fit demi tour, referma la porte et rejoignit les chasseurs.

– Ce palais est totalement abandonné, leur dit-il. Il est temps de rentrer. Nous reviendrons chasser ici à la première occasion, peut-être les Génies malfaisants qui l’habitent se manifesteront-ils alors.

Abandonnant la chasse, ils retournèrent au palais. La reine bouda le roi Johan pendant plusieurs heures.

Ô mon précieux trésor, mon bijou,
Ma montagne d’amour, mon eau vive,
Pardonnez votre serviteur je vous en prie :
Je vous promets de retourner bientôt à la chasse.

*

La nuit suivante, Johan rêva que la pleine lune venait se poser sur ses genoux. Il interrogea son vizir :

– Cela signifie que vous prendrez bientôt une seconde épouse, votre Majesté, lui déclara celui-ci.

Le roi se mit en colère contre son vizir – où trouverait-il jamais, en tout le royaume, une seconde Liane Radieuse aux quatre qualités ? Mais il décida de retourner sans tarder, seul, au palais abandonné. Lorsque Johan atteignit l’Adoucisseur de Soucis, la nuit était noire, la minuit venait de passer. Une fenêtre était allumée.
Après s’être assuré qu’il était bien seul, Johan força la porte comme il l’avait fait la première fois, et pénétra dans la chambre de la Belle endormie. Bidasari était en train d’écouter une histoire de Dame Perroquette. Elle se dressa et hurla de peur. Dame Perroquette se jeta vers l’intrus en criant avec une voix de sorcière,

Ô roi Johan des lointaines contrées,
C’est ici la demeure de spectres et de démons.
Si tu ne fuis pas le Palais des Dangers
Dans un instant, ils te dévoreront.

Le roi n’en fit rien. La beauté de la jeune fille l’avait sidéré :

Ses cheveux sont comme les tresses retombant du palmier,
Ses yeux profonds comme le cœur du nymphéa vert,
Ses sourcils comme la lune du premier jour,
Sa peau translucide comme la fleur de frangipanier.

Ses joues sont comme une mangue entrouverte,
Son nez, comme un bouton de jasmin,
Ses lèvres rouges comme la peau de la grenade
Et ses dents régulières comme ses graines.

– Suis-je tombé sous un charme, demanda Johan à Bidasari, et serais-tu véritablement une fée ?

– Je suis Bidasari, la fille du marchand Prestige des Joyaux, lui répondit Bidasari, que la peur étreignait. Que me voulez-vous ?

– Je suis un chasseur égaré. Raconte-moi ton histoire. Je ne te veux que du bien.

Bidasari n’hésita guère. Après les épreuves qu’elle avait endurées, elle remit son destin en la confiance que lui inspirait ce jeune homme de noble apparence. Elle lui conta, sans omettre le moindre détail, tout ce qu’elle savait de son histoire.
Le roi était atterré. ‘Quelle perfidie, si tout cela est vrai!’ Il promit à Bidasari de revenir très bientôt la délivrer, s’il s’avérait que ce qu’elle lui avait conté était la vérité, et quitta la chambre en contenant, à la fois, la brûlure de sa colère et la flamme de son amour.
De sa voix suave de chanteuse, Dame Perroquette entreprit d’endormir Bidasari, dont l’agitation était extrême, agitant ses ailes au-dessus de sa couche pour la bercer,

Si le bateau n’est fait pour l’eau,
alors le ciel n’est fait pour la tête.
Si ma princesse ne se marie bientôt,
alors je ne suis plus Dame Perroquette.

*

De retour au palais, le roi organisa une grande réception. La reine Liane Radieuse devait porter ses plus beaux atours. Elle attendit que ses suivantes l’aient parée puis, une fois seule, elle sortit le coffret et fixa le petit poisson d’or contre sa poitrine, sous ses ornements.
À cet instant, Johan pénétra sans crier gare dans l’appartement. La reine tressaillit.

– Ô mon précieux trésor, mon bijou! Ma montagne d’amour, mon eau vive, fit le roi, que vous me comblez d’aise ainsi parée. Permettez que je vous embrasse. D’un mouvement vif, Johan enlaça la reine en la serrant aussi fort que possible contre lui.

Bidasari avait dit vrai.
D’un geste violent, il lui arracha le petit écrin du cou. Liane Radieuse, pétrifiée, avoua toute l’histoire à Johan, en l’accusant de toutes les ignominies. Sa jalousie et son manque de retenue l’avaient égarée. Le roi la laissa s’épuiser, puis se retira sans un mot. Il donna l’ordre que la reine soit désormais gardée dans une dépendance à l’écart du palais, et s’empressa de retourner à l’Adoucisseur de Soucis afin de délivrer la Belle Bidasari.
Bidasari attendait son retour.
Le roi rendit à la jeune fille sa force de vie. Dès que le marchand viendrait visiter sa fille, il lui demanderait sa main. Secrètement, il espérait également savoir, de la bouche de son père, si cette jeune fille aux allures si nobles était véritablement la fille d’un marchand. Sans doute le père le savait-il quelque chose que la jeune fille elle-même ignorait.
Car Johan n’avait oublié ni ses devoirs de roi, ni son rêve de lune : il fallait, pour qu’elle devînt son épouse, que Bidasari disposât des quatre qualités. Ces qualités que Liane Radieuse avait, si vite, hélas ! sacrifiées les unes aux autres.

*

Et voici qu’inopinément, l’histoire se met à courir l’aventure du prince Dauphin Intrépide: ce fils qu’ont conçu le roi et la reine du Kambayat lorsque l’Oiseau Roc ayant fini de ravager leur pays, ils purent enfin regagner leur trône.
Résumons :
Dauphin Intrépide s’embarque pour un long voyage avec un groupe de marchands du royaume. Après d’innombrables péripéties, il arrive qu’ils atteignent au domaine de Prestige des Joyaux. Lorsque le jeune homme se trouva en présence du marchand et de sa fille, un malaise saisit toute la maisonnée : une telle ressemblance ! Comment cela était-il possible ? Personne n’osait dire quoi que ce soit de peur de heurter les bienséances, mais tout le monde pensait la même chose.
Heureusement, les sorbets de vins de Perse et les mets les plus délicats servis par le marchand délièrent les esprits. Le frère cadet reconnut sa sœur aînée, et la sœur aînée son frère cadet. Le frère voudra d’abord ramener Bidasari auprès de ses parents au Kambayat, mais le roi voudra d’abord la ramener à son palais, pour l’y épouser. Le roi avait préséance sur le prince, mais des parents ont préséance sur un prétendant, fût-il un royal: le frère et la sœur partiront donc d’abord pour le Kambayat avec Dauphin Intrépide, qui remettra au roi et à la reine l’invitation du roi de LokaPura, afin qu’ils viennent y partager les épousailles de leur fille et de Johan, roi de LokaPura.
Pendant ce temps, Johan retournera à son palais accompagné de Bidasari. Il fera venir à eux la reine Liane radieuse au teint devenu noir comme le jais et lui présentera Bidasari :

– Je vous amène votre faon, lui dira-t-il, sans un mot de plus.

La reine n’en mourra pas foudroyée, mais la haine qui avilit les cœurs explosera une dernière fois :

Te voilà donc devenu le gendre d’un marchand
Et l’époux d’une guenon noire comme de la boue.
Qu’aurions-nous à faire encore ensemble ?
Je préfère ma dignité à ta couronne de bijoux !

Répudie-moi, ton visage m’offense.
Plutôt que de te savoir avec elle, fais-moi mourir.
Tout comme la nuit avive les souffrances,
La pensée de ta guenon m’empêche de vivre.

Johan voudra la répudier, mais Bidasari au grand cœur, qui la comprenait, plaidera pour elle. Le roi fera construire pour Liane Radieuse une résidence où elle finira ses jours, plus solitaire encore qu’elle n’avait isolée Bidasari dans la solitude, puisqu’elle y vivra enclose dans le repentir de ses excès. Peut-être un jour sera-t-elle pardonnée et reviendra-t-elle partager le bonheur du roi et de Bidasari, comme le marchand partageait son bonheur? (‘Cela, l’histoire ne le dit pas’, commente Gauvain d’ArVorenn pour lui-même. Entre temps, il est remonté au grenier s’asseoir sur le coffre d’Anna).
Toujours est-il que lorsque le roi et la reine du Kambayat, accompagnés de Dauphin Intrépide, atteindront le palais de Johan Shah, Bidasari et Johan seront mariés…
En attendant, il s’avère qu’au cours de leur navigation de retour vers LokaPura, voici que Dauphin Intrépide entend parler d’une île merveilleuse dans laquelle une jeune fille endormie attend qu’un prince charmant la réveille et l’épouse. Il demande au capitaine du bateau de faire un tout petit détour par l’île merveilleuse, il y réveille la princesse Apsara, et c’est après cela que tous quatre reprennent la mer, en toute simplicité, pour LokaPura.

*

Les doubles noces de Bidasari et de Dauphin Intrépide durèrent plus de trois mois, et le vin de Perse coula à flot.

Le pêcheur s’intéresse à la nuit,
le filet reconnaît les étoiles.
Il a plongé dans ses cheveux,
le poisson a ramené un pêcheur.

Le filet reconnaît les étoiles,
le roi a ramené Belle Bidasari.
Un poisson d’or joue parmi les lotus
qui couvrent le bassin de marbre.

Bidasari devint reine, mais n’oublia jamais Dame Perroquette qui fut nommée ministre des Amusements Royaux.
L’Adoucisseur de Soucis était le palais de ces enchantements.
Il l’est toujours.

Extrait du recueil d’Azenor de Suvarna
Les Contes de Dame Perroquette

***

Tiré de L’Histoire de Coëtrac’h. Contes des Forêts Magiques
de Jean de Kerno.
Reproduit avec autorisation. Copyright © 2016 La Cave aux Loups.

Kerno - L'Histoire de Coëtrac'h