Parmi les écrivains de langue anglaise de Malaisie, Lloyd Fernando (1926-2008) occupe une place historiquement essentielle. Ceylanais d’origine et ancien professeur à l’Université de Malaya, il aura dévoué ses années littéraires à la défense et à la promotion des auteurs malaisiens préférant l’anglais au malais pour leurs écrits. Son roman majeur – Green is the colour, dont l’action peut se lire comme un parallèle des émeutes raciales de 1969 – reste un classique de la littérature malaisienne anglophone de l’après-indépendance. Pour vous encourager à découvrir cet auteur méconnu, nous diffusons aujourd’hui l’article que lui consacre Bertrand Mialaret sur son site MyChineseBooks.com.
Lloyd Fernando est un personnage important de la vie intellectuelle en Malaisie; professeur d’université, défenseur de la langue anglaise, juriste, romancier. Son roman le plus connu Green is the colour (1993) était introuvable mais a été réédité en 2012 à Singapour (Epigram Books). C’est un bon roman, qui semble toujours assez actuel, sur les tensions dans une société multiraciale. Les émeutes raciales du 13 mai 1969 qui ont fait plusieurs centaines de morts et conduit le gouvernement à déclarer l’état d’urgence national, sont bien présentes dans les mémoires en Malaisie. Ce sont ces évènements qui donnent des repères au roman, un cadre peu défini car nous sommes bien loin d’un roman historique.
Green is the colour, littérature et tensions raciales
L’excellente introduction du Professeur Mohammad A. Quayum, nous rappelle les caractères très particuliers de la Malaisie. A l’indépendance en 1957, il est décidé que le malais deviendra la langue nationale; la perte de statut de l’anglais fut aggravée après les émeutes raciales de 1969. De même, en 1971, les droits et privilèges des Malais furent renforcés et la NEP (New Economic Policy) introduite pour réduire les disparités économiques entre Malais et Chinois.
Différents personnages sont au centre du livre, ils représentent les principales races mais aussi les forces qui s’opposent dans la construction politique et religieuse du pays. Tous se connaissent et souvent depuis l’université. Omar et Panglima sont des extrémistes sur les droits des Malais et le rôle de l’Islam. D’autres Malais (Dahlan, Lebai Hanafiah, Siti Sara) veulent une Malaisie qui dépasse cette ségrégation raciale. Il en est de même pour Yun Ming, d’origine chinoise, fonctionnaire du Ministère des affaires étrangères, qui va tomber amoureux de Siti Sara qui ne peut plus vivre avec Omar.
L’analyse des personnages est le plus souvent très bien menée, sans schématisme. Siti Sara nous séduit par son intelligence et sa sensibilité; Dahlan nous étonne par son courage et son inconscience : « (…) each and every one of us has to make an individual effort. Words are not enough. We must show by individual actions that we will not tolerate bigotry and race hatred ».
Lloyd Fernando a su se mettre dans la peau de personnages de différentes cultures et a manifesté un courage certain en écrivant à cette époque et sur ce type de thèmes. Pour lui, l’essentiel est de rapprocher les différentes races et de faire en sorte que les Malaisiens se considèrent d’abord et avant tout comme Malaisiens avant d’être malais, chinois ou indien…
Le père de Sara, Lebai Hanafiah, un Malais, ancien professeur, qui devient le narrateur d’un chapitre du livre est un peu le porte-parole de l’auteur : « (…) they are so many who want to force you to follow the right path. Each one’s right path is the only one. I am tired of seeing the folly spread in the name of such right paths. I fear those who seek to come between me and love for all humanity. They are the source of hate and destruction » (p. 138).
Tous ces personnages ont la nostalgie de leurs rapports simples et ouverts à l’université. Après le 13 mai, tout devient plus difficile, on se camoufle, on prend des postures, on se protège. Mais l’auteur ne développe pas ces références historiques, c’est un ouvrage pour les Malaisiens et non pour des Européens. Pas de didactisme, en cela ce livre est très différent des romans à caractère plus historique de Tan Twan Eng qui ont connu récemment et à juste titre un grand succès.
De Ceylan à l’Université de Malaya
Son père et lui quittent Ceylan pour Singapour en 1938, il a alors douze ans. Il apprend le malais qu’il parlera parfaitement mais l’anglais demeure sa première langue. En 1960, après des études à l’université de Singapour, il est maître de conférences à l’Université de Malaya. Une agrégation à Leeds lui permet de devenir en 1967 professeur au département d’anglais de l’Université de Malaya puis chef de ce département jusqu’en 1978.
C’est en 1976 qu’il va publier Scorpion Orchid, un roman moins élaboré mais qui annonce certains des thèmes développés dans Green is the colour. A Singapour, de nombreuses manifestations tournent à l’émeute du fait des efforts de deux syndicats pour se rassembler, ce à quoi s’oppose le syndicat British Realty, le système colonial. Peu d’éléments sur cette période, ce n’est pas l’important pour l’auteur qui s’attache à plusieurs personnages, malais, chinois, indiens mais aussi à des universitaires anglais. Les caractères sont rapidement esquissés sauf celui de Sally, une personnalité affirmée, un peu prostituée, un peu protectrice de certains de ces étudiants.
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