C’est la rentrée sur Lettres de Malaisie, et nous vous proposons aujourd’hui de partir à la découverte du Prix Calistro, qui récompensera en décembre prochain, et pour sa deuxième édition, la meilleure œuvre de fiction malaisienne destinée à la jeunesse. Dans cet article traduit du quotidien The Star, le Dr David Kirkham, fondateur du prix, et Teoh Choon Ean, écrivain et membre du comité d’organisation, reviennent sur ce qui a motivé cette création et sur leur amour des belles lettres et de la Malaisie.
« Vous est-il déjà arrivé de perdre une interview ? » demande le Dr David Kirkham. Après lui avoir assuré que cela ne s’était encore jamais produit, le pétulant docteur part d’un rire et commence à régaler son auditoire d’anecdotes tirées d’une vie bien vécue.
David Kirkham est fondateur et directeur du cabinet de conseil en management Calistro Consultants Ltd., basé au Royaume-Uni. Mais avant Calistro, il s’est essayé à bien d’autres choses ‒ à vrai dire, notre rencontre à Kuala Lumpur nous révèle que ce fringant septuagénaire a multiplié les expériences, que ce soit à ramasser le crottin de poneys Shetland en tant que figurant dans une représentation de Cendrillon, ou à servir dans l’Artillerie Royale pendant 22 ans.
Et quand bien même cet ancien chroniqueur judiciaire n’a jamais écrit la moindre fiction, son amour pour les arts, la langue anglaise et la littérature l’ont incité à parrainer le Prix Calistro récompensant la meilleure œuvre de fiction pour la jeunesse et les jeunes adultes.
Il ne s’agit pas là de sa seule attache avec un prix littéraire : à l’âge de sept ans, Kirkham apprenait le français aux côtés d’un jeune garçon du nom de McConnell. Son compagnon d’étude appartenait à la famille à l’origine du Prix Booker-McConnell, connu aujourd’hui sous l’appellation Man Booker. A son tour, le Dr Kirkham souhaite maintenant encourager l’amour des belles lettres au travers d’un projet qui lui soit propre.
Pour sa première édition en 2012, le Prix Calistro a été organisé par la SCBWI de Malaisie (Société des Auteurs et Illustrateurs de Livres Jeunesse). Mais cette année, le déroulement de la compétition a été confié à un comité indépendant. Celui-ci se compose d’auteurs, de critiques littéraires, d’éditeurs, d’enseignants, de journalistes, mais aussi de simples lecteurs. Hormis leur passion commune pour la littérature jeunesse et leur espoir de la voir se développer en Malaisie, la diversité de leurs occupations apporte un éventail d’expérience très large pour l’organisation du Prix Calistro.
En juillet 1985, The Star avait qualifié Teoh Choon Ean ‒ membre du comité et plus connue sous le nom de Mme Khaw ‒ de « reine sans couronne de la nouvelle ». Cette enseignante à la retraite et désormais coach littéraire, amie proche du Dr Kirkham depuis plus de vingt ans, a joué un rôle décisif dans la création du Prix Calistro. « Lorsque je suis devenue membre de la SCBWI, je me suis rendue compte qu’il serait opportun de créer une récompense pour la littérature jeunesse de contenu malaisien. Je savais aussi que David éprouvait une grande passion pour la Malaisie et pour les livres », explique-t-elle.
Voilà près de trente ans que le Dr Kirkham se rend chaque année en Malaisie, où il possède un pied-à-terre. Lorsque la possibilité s’est présentée de parrainer un prix et, à travers lui, d’« immortaliser » son nom, il a finalement préféré immortaliser le nom de son entreprise. « Je voulais retourner un peu de la gentillesse que j’ai reçue des Malaisiens au cours des 29 dernières années. Je pense aussi que les Malaisiens ont un talent caché pour conter des histoires. Le conte est fortement ancré dans la culture locale et il se doit d’être mis en valeur », dit-il en citant l’exemple de formes de théâtre traditionnel tel que le wayang kulit (théâtre d’ombres).
« L’une des choses que j’ai apprises au cours de mes études, c’est que les étrangers écrivent souvent mieux anglais que les Anglais eux-mêmes. Joseph Conrad est polonais, mais il utilise la langue anglaise différemment et à meilleur escient », poursuit cet ancien diplômé de Cambridge en littérature anglaise. Et c’est ainsi que le Prix Calistro vit le jour.
L’année dernière, le concours vit la mise en lice de 28 textes dans toutes les langues de Malaisie, dont certains sous forme illustrée, et la consécration de A Master and An Apprentice, une nouvelle de Lim Lay Har et Lim Lay Koon. Cette année, les critères de participation se limitent aux textes de langue anglaise appartenant à la catégorie des romans pour jeunes adultes (Young Adult, ou YA). Le choix de se concentrer sur les textes en anglais permet de rendre plus équitables les jugements rendus sur l’imaginaire d’un texte, le déploiement de sa narration et le style employé. Teoh ajoute qu’il est indispensable que le contenu, les personnages, les lieux et les thèmes soient rattachés à la Malaisie.
Les citoyens malaisiens résidant à l’étranger sont désormais autorisés à soumettre leurs créations. Le texte élu par le jury recevra un prix de 8 000 ringgits malaisiens (RM), une médaille et un certificat. Deux prix de mérite seront également attribués, chacun rapportant 1 000 RM, une médaille et un certificat. La date limite d’envoi des textes est fixée au 30 septembre 2013. Un jury indépendant composé de trois juges récompensera les trois meilleurs travaux. Le jury sera désigné en octobre, et les résultats seront annoncés le 31 décembre 2013. Il sera intéressant de guetter l’annonce de la composition du jury, car les organisateurs souhaitent nommer des personnalités très impliquées dans le domaine des livres, de la littérature jeunesse et de la lecture en général.
En préparant sa participation au Festival Asiatique du Contenu pour la Jeunesse (AFCC) qui s’est récemment tenu à Singapour, Teoh a pu juger de la forte présence de titres jeunesse et YA en anglais chez les libraires. Bien que la grande majorité des contenus ne soient pas reliés à la Malaisie, elle préfère tout de même voir « le verre à moitié plein ». Selon elle, la littérature YA malaisienne est une mine d’or potentielle pour les auteurs, avec un marché de lecteurs qui ne demandent qu’à se laisser captiver.
« Il s’agit de trouver la bonne formule ‒ comme J.K. Rowling l’a fait avec Harry Potter ‒ pour inciter les jeunes à se plonger dans la lecture de longs romans, loin des jeux vidéos ou de la télévision », espère Teoh pour qui le Prix Calistro doit servir à révéler des talents littéraires qui susciteront l’engouement chez les jeunes, comme le fait à l’heure actuelle la flash fiction sur les réseaux sociaux.
Lorsqu’on leur demande comment ils voient l’avenir de la littérature jeunesse et YA alors que les temps d’attention se réduisent sensiblement, le Dr Kirkham et Teoh se veulent optimistes. « Mes fils sont aujourd’hui des ingénieurs en informatique et les médias sociaux occupent une bonne partie de leur vie. Mais ça ne les empêche pas d’être aussi d’avides lecteurs de romans. Les livres et la fiction à la mode Twitter peuvent très bien cohabiter ! » confie Teoh au sujet de ces nouvelles en 140 caractères que l’on trouve sur le site le plus populaire de microblogging.
Le Dr Kirkham espère quant à lui que les auteurs sauront dépasser la « barrière de l’accroche » et captiver les jeunes lecteurs en ces temps d’Internet et d’histoires faciles. « Tout se joue dans les premières lignes d’un paragraphe ou d’une histoire ‒ il faut agripper le lecteur et faire en sorte qu’il ne vous lâche plus jusqu’au bout », dit-il.
Il déplore aussi la façon dont une grande partie des auteurs de romans ou de théâtre traitent avec condescendance leurs jeunes lecteurs. « Que les enfants ne comprennent pas tout de vos écrits, cela n’a aucune espèce d’importance. Ils ont suffisamment d’imagination pour boucher les trous de ce qui leur échappe », explique-t-il en ajoutant que les enfants sont souvent de durs critiques qui se détournent sans complexe de ce qui ne les intéresse pas. Un prix comme le Calistro devrait donc permettre de faire avancer auteurs et lecteurs dans la bonne direction.
Quand on lui demande s’il est selon lui des histoires qu’il est important de raconter, le Dr Kirkham dit espérer que les participants exploreront les aspects à la fois culturels et mythiques de la vie malaisienne. « Ce pays a une si longue histoire, il rassemble des cultures si diverses, il est donc primordial que les participants s’en fassent l’écho. Leurs textes devront se baser sur la culture malaisienne, son histoire, ses mythes, son folklore et ses communautés, il y a tant d’inspiration à prendre dans tout cela ».
Il encourage les participants à adopter un thème typiquement malaisien au lieu de « simplement saupoudrer d’éléments locaux une histoire générique ». Comme Kirkham, Teoh espère voir une thématique malaisienne se dégager dans les travaux reçus, car les lecteurs locaux sont attirés par les textes qui savent mettre des mots sur des sujets pertinents propres à leur société. Néanmoins, ces travaux ne doivent pas non plus rester inaccessibles pour les lecteurs étrangers, la littérature YA reposant sur de nombreux thèmes universels, telle que la découverte du monde adulte ou du sentiment amoureux.
« Tout dépend de la façon dont ces thèmes seront présentés dans un environnement malaisien et selon une psyché malaisienne. Nous disposons d’un riche patrimoine culturel et les possibilités sont innombrables, dit-elle. Si vous êtes malaisien et que vous écrivez, ou même si vous rêvez d’écrire pour les plus jeunes, tentez votre chance pour le Prix Calistro. On ne sait jamais ! »
Source : The Star.