« L’ami de Magellan » : Entretien avec l’écrivain Didier Bazy

Partons à la rencontre de Didier Bazy pour la sortie de son dernier livre, L’ami de Magellan, un roman jeunesse illustré par Alain Corbel et paru chez Belin, dans la collection Terres Insolites. L’ami en question, c’est Henrique, un esclave malais acheté à Malacca en 1511 par l’illustre navigateur portugais. Henrique servira d’interprète à Magellan au cours de ses nombreux voyages, jusqu’à la mort de son maître sur l’île de Mactan, en 1521. Une incroyable aventure humaine que nous font redécouvrir Didier Bazy et Alain Corbel.

Didier Bazy, on vous connaissait poète, préfacier, critique littéraire… Vous voici désormais auteur de roman pour la jeunesse. Comment en êtes-vous venu à vous intéresser à la vie d’Henrique, et qu’est-ce qui vous a poussé à écrire ce livre ?

Didier BazyD’abord bravo pour ce que vous faites et avez fait pour la Malaisie, sa culture et sa littérature. Oui, il faut promouvoir de l’intérieur l’histoire et les modes de vie des autres. C’est un premier motif de mon intérêt pour Henrique. Harun Aminurashid le nomme d’ailleurs Panglima Awang dans ses romans historiques. Le point de vue de L’ami de Magellan est posé en 1577 quand les Philippines deviennent colonie espagnole. Les narrateurs sont deux jeunes indonésiens adoptés par Henrique et ils l’interrogent sur sa vie hors du commun… Henrique est très vieux : 90 ans ! Un quatrième personnage est aussi présent…

Un autre motif, plus philosophique, est le suivant. Lévi-Strauss nous a appris la pensée sauvage : il y a Une pensée sauvage, pas des sauvages. Michel Tournier a ajouté Freud à Lévi-Strauss pour son Vendredi. Son point de vue reste celui, occidental, de Robinson. L’ami de Magellan prend le point de vue, oriental, de l’esclave, de l’indigène et pousse son devenir vers ce qu’il a de plus humain, de plus fort, de plus civilisé, de plus conquérant : Henrique est très probablement le premier homme qui a accompli la première circumnavigation. Or, cette histoire est largement méconnue, pour une bonne douzaine de raisons. Ce qui peut être un troisième motif.

Un quatrième motif : le caractère historique exceptionnel de la vie très romanesque de Henrique. Ici, pas besoin d’une grande imagination. Le style direct général du récit voudrait en témoigner.

Les autres mobiles du crime sont multiples et intimes. Vous me permettrez ici un joker de circonstance exténuante.

Henrique de MalaccaLes vies de Magellan et d’Henrique, si elles sont liées à jamais, sont aussi marquées du sceau de l’esclavagisme et des relations de maître à serviteur. Le choix d’un titre comme L’ami de Magellan, même s’il reprend l’idée d’une possible amitié entre le navigateur et son compagnon de route, n’élude-t-il pas néanmoins des aspects plus sombres ? Les abordez-vous dans votre livre ?

Non seulement les aspects « sombres » ne sont pas éludés mais je crois qu’ils sont tantôt soulignés tantôt ils transpirent en filigrane. Ce récit comporte plusieurs niveaux d’écriture (pour les lectures, je ne peux me prononcer). Il s’adresse autant aux jeunes qu’aux moins jeunes. L’ouvrage s’est affronté à cette difficulté éditoriale. Où le « caser » ? Belin a tranché en signalant : « à partir de 12 ans ». J’espère qu’il ne sera pas « interdit aux moins de 12 ans ».

Pour accélérer la réponse : il est établi par les textes que Magellan, par testament, a affranchi Henrique. Je me suis simplement permis de le libérer par les mots sans en faire un héros surhumain.

Quelle(s) source(s) avez-vous utilisées pour l’écriture de votre roman ? Le journal de Pigafetta compte parmi les plus connues, mais peut-être avez-vous eu recours à d’autres ?

Journal d'Antonio PigafettaLa somme définitive a été établie par Michel Chandeigne en 2007. J’étais en cours de rédaction. J’ai dû dévorer les 1000 pages de témoignages et d’appareils critiques. Le livre de Sweig offre une psychologie fine de Magellan. Jean-Michel Barrault est assez complet. Les auteurs anglo-saxons font de nombreuses erreurs qui génèrent des légendes. Le plus difficile a été de trouver de la documentation ethnographique ; j’ai dû faire quelques emprunts à des « mythologiques » déformées, sacrifiées et sans doute erronées. Mais le contexte initiatique et rituélique est présent tant du côté occidental que du côté oriental.

Choisissez-vous de faire revenir Henrique à Malacca ou bien finit-il ses jours aux Philippines ? Pourquoi ?

Il finit ses jours aux Philippines. Il y a peu de chance qu’il soit retourné à Malacca. Du coup, il n’aurait pas fait le tour du monde ? Si ! Une clé romanesque préside au début du récit : il part d’une petite île au large de Palawan…

Quel(s) message(s) souhaitez-vous faire passer auprès des plus jeunes avec l’histoire d’Henrique et de son « tour du monde » ?

Mon but réside dans mes mobiles (cf. plus haut). Si message il y a, on pourrait le résumer en deux formules : « Rien n’est jamais perdu » et « Faire le tour de son propre monde »… Il y en a peut-être d’autres. Deux messages, c’est déjà pas mal.

Quelques mots au sujet de votre collaboration avec l’illustrateur Alain Corbel…

Alain Corbel ©J’ai écrit une note sur les raisons pour lesquelles je considère Alain Corbel comme un illustrateur hors du commun (à lire ici). Petite anecdote : quand j’ai reçu les illustrations de Corbel, parmi celles-ci resplendissait un magnifique manchot. Or, je ne parlais pas des manchots de Magellan ! Aussi ai-je ajouté un paragraphe où la difficulté consistait à décrire les manchots sans citer leur nom…

Malacca, la Malaisie et l’archipel malais en général sont-elles des régions que vous connaissez ? Que vous inspirent-elles et y avez-vous des attaches particulières ?

Je ne connais pas le Sud-Est asiatique. Seulement quelques séjours en Polynésie et un voyage au Japon. La Malaisie et les Philippines sont un peu entre les deux. Et les livres ne sont-ils pas au milieu du monde ?

L’ami de Magellan

L'ami de Magellan1519. Cinq navires chargés d’hommes et de vivres s’apprêtent à quitter l’Espagne, sous les ordres de Magellan pour découvrir le passage entre l’océan Indien et la mer du Sud qui permet d’atteindre les îles aux Épices. Ce voyage, c’est Henrique, l’esclave de Magellan et celui qui va devenir le premier homme à avoir fait le tour du monde, qui nous en fait les récits…

Didier Bazy a été professeur de philosophie, puis rédacteur en chef, préfacier, auteur, éditeur, maire et artificier agréé. Un homme aux multiples facettes, qui signe ici son premier roman pour la jeunesse. Il vit dans le Beaujolais.

Alain Corbel est né en Bretagne, où il a été commis agricole. Il est ensuite devenu illustrateur et s’est installé au Portugal. Il a également tissé des liens étroits avec l’Afrique. Aujourd’hui, il vit à Baltimore, où il est professeur d’illustration au Maryland Institute College of Art.

Laisser un commentaire