Partons en direction des Cameron Highlands en compagnie de Bertrand Mialaret, du site MyChineseBooks.com, pour découvrir le destin de Yun Ling, l’héroïne du second roman de l’auteur malaisien Tan Twan Eng, Le Jardin des Brumes du Soir. Récemment traduit et publié aux Editions Flammarion (2016), ce roman mélange fiction historique, tragédie familiale et esthétisme japonisant pour, au final, un très agréable moment de lecture.
En Malaisie, dans les années 1950, un magnifique roman où Yun Ling, la seule survivante d’un camp japonais retourne dans le « Jardin des Brumes du Soir » où elle a vécu avec Aritomo, un ancien jardinier de l’empereur du Japon. Un livre sur la sérénité et les symboles d’un jardin au milieu des chaos d’une guérilla anti-britannique et des difficultés des personnages à accepter leur histoire et leur identité.
Tan Twan Eng est un écrivain malaisien d’origine chinoise, qui écrit en anglais et partage son temps entre l’île de Penang, où il est né, et l’Afrique du Sud, où il réside. On a parlé, il y a quelques années, de son premier livre A Gift of Rain, qui n’est malheureusement pas publié en France. Son deuxième roman, très réussi et qui vient d’être traduit, Le Jardin des Brumes du Soir (trad. : Philippe Giraudon), a remporté en 2013 le prix Man Asia après Mo Yan, Su Tong, Bi Feiyu…
Le succès international de ce livre a même suscité quelques controverses en Malaisie, où seules les œuvres en malais peuvent être qualifiées pour des prix littéraires et bénéficier de soutiens publics.
Un roman comme… un jardin japonais
S’avancer dans un jardin japonais permet de découvrir les différents sous-ensembles, les pierres érigées autour desquelles ils s’organisent. Plus l’on avance, plus l’on découvre d’autres points de vue, de nouvelles perspectives, des secrets à élucider…
L’héroïne, Yun Ling, est une Chinoise « des Détroits », très anglicisée. Pendant l’occupation de la Malaisie par les Japonais durant la seconde guerre mondiale, elle est internée dans un camp de travail avec sa sœur. Celle-ci, « au service » des officiers japonais, ne survivra pas.
Yun Ling, seule rescapée du camp, retourne aux Cameron Highlands, une station d’altitude où l’on cultive du thé, et y rencontre Aritomo, un ancien jardinier japonais de la cour impériale. Yun Ling lui demande de créer un jardin à la mémoire de sa sœur qui était passionnée par ces œuvres d’art. Aritomo refuse mais accepte de prendre Yun Ling comme apprentie pour qu’elle puisse le concevoir elle-même.
Des épisodes successifs, des retours en arrière très contrôlés entre le camp japonais puis Cameron Highlands et Aritomo, enfin la période récente (autour de 1986) où Yun Ling, juge à la Cour Suprême, prend une retraite anticipée. Elle veut écrire son histoire et celle de sa sœur avant qu’une maladie neurologique ne la prive de sa mémoire et de sa capacité, après le décès d’Aritomo, à restaurer le jardin « Brumes du soir » dans sa splendeur passée.
Des personnages très différents: Yun Ling et sa famille, Aritomo et ses amis japonais, son voisin Magnus, un Boer du Transvaal qui a fui l’Afrique du sud, les policiers chinois et militaires anglais, les ouvriers tamils des plantations et même des aborigènes Semai…
Réalité ou… fiction historique
Le Japon envahit la Malaisie à la date de Pearl Harbour (décembre 1941), les militaires et fonctionnaires anglais se replient sur Singapour réputé imprenable. Les 30 000 Japonais du général Yamashita obligent les 85 000 britanniques à se rendre le 15 février 1942.
Rapidement des maquis chinois, dont certains sont dirigés par le communiste Chin Peng, sont renforcés par les Forces spéciales britanniques (force 136). Après la fin de la guerre, ces maquis se retournent contre les Anglais qui, dans un premier temps, veulent rétablir l’ordre colonial. L’attitude de la population malaise, peu impliquée, est un point assez sensible, mais l’on est surpris que les Malais n’existent simplement pas dans le livre de Tan !
Après la guerre, Yun Ling, au tribunal des crimes de guerre, essaie de retrouver la localisation du camp où sa sœur est morte et poursuit de sa haine les tortionnaires japonais dont une petite centaine sera pendue. La Malaisie et Singapour ont beaucoup souffert de l’occupation et ont perdu 3% de leur population, des pertes bien plus limitées qu’en Indonésie, Indochine ou Philippines (sans parler de la Chine…).
Les Cameron Highlands se sont développés avec la culture du thé et comme station d’altitude pour les officiels britanniques, mais les maquis chinois entretiennent l’insécurité et les assassinats toucheront certains de nos personnages. Les déplacements massifs de population, la création de « nouveaux villages » aboutit à isoler et à affamer les maquis. Il s’agit d’un des rares cas dans l’histoire d’une victoire militaire contre des maquis communistes.
Tous ces événements dramatiques conduisent les personnages de ce roman à conserver tous une zone d’ombre qui n’est révélée que très progressivement. Les pillages japonais de la guerre et l’organisation « Golden Lily », dirigée par le prince Chichibu, un frère de l’empereur, donnent au livre des développements imprévus.
Le jardin japonais symbole de notre mémoire
Le jardin est l’art d’ériger des pierres, des pierres qui permettent de tout organiser et dont l’alignement ou le positionnement donneront un centre, un cœur au jardin, car ces pierres ont une âme…
Aritomo est connu pour ses talents de création du « paysage emprunté », c’est à dire la manière d’intégrer dans le jardin le paysage situé à l’arrière plan. Le jardin est le symbole de nos âmes et les « paysages empruntés » sont au fond notre histoire personnelle.
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