par Serge Jardin
La famille Fauconnier en Malaisie, plus précisément la visite du Selangor, en 1910, c’est la Belle Époque ! Le prétexte est un programme proposé par Henri pour ses sœurs, et voilà Henri Fauconnier devenu un guide touristique ! Que faut-il voir ? Qu’ont-ils vu ? Qu’en reste-t-il ? Le Selangor vu par un prix Goncourt et un prix Fémina, et quelques autres…
C’est en lisant page 86 du livre que Roland Fauconnier a consacré à son père en 2014, Henri Fauconnier, conquêtes et renoncements, le programme de séjour en Malaisie qu’Henri Fauconnier propose à ses sœurs que ma curiosité a été piquée.
Il s’agit tout simplement d’un programme touristique, mais d’un programme datant du début du XXème siècle. Tout à coup Henri cessait d’être un planteur, sans être encore l’écrivain qui allait remporter le prix Goncourt en 1930 avec Malaisie, non, je découvrais un collègue, un guide et un agent de voyages. Ce programme permettait d’entrevoir une vision singulière de la Malaisie, ce n’était plus une terre dont on exploite les matières premières pour s’enrichir, mais un pays qui méritait d’être découvert et visité.
À travers ce programme, quelle vision de la Malaisie Henri Fauconnier nous propose-t-il ? S’agit-il d’une vision originale ? Il faut comparer avec d’autres sources de la même époque, en particulier les guides de voyages. Et bien sûr il faut mesurer la différence à un siècle de distance. Que penser de ce programme aujourd’hui, à la lumière des nouveaux guides de voyages ? Bref, une double comparaison, à la même époque et à l’aune du temps.
Dans une première partie, j’essaierai de présenter le voyage en Malaisie à la Belle Époque, en particulier ce qu’en présentent les guides de voyages. Dans une seconde partie, je suivrai la famille Fauconnier en Malaisie, de la préparation du voyage à sa réalisation, en passant par le lent passage de Marseille à Singapour. Enfin, dans la troisième partie, je regarderai ce que les choses faites et vues en 1910 sont devenues aujourd’hui.
Les limites sont d’abord géographiques. La Malaisie que nous connaissons aujourd’hui n’existe que depuis 1965. La Malaisie d’Henri Fauconnier, celle qui donne le titre à son futur roman, est une construction coloniale composée d’une colonie britannique (les Établissements du Détroits que sont Singapour, Penang et Malacca), des États Fédérés Malais (Negeri Sembilan, Pahang, Perak et Selangor) dont la capitale est Kuala Lumpur et de cinq États Non Fédérés (Johor, Kedah, Kelantan, Perlis et Terengganu). Il s’agit de la Péninsule malaise que les Anglais appellent Malaya et qui n’a pas encore de lien organique avec les états du Nord de l’île de Bornéo.
Henri Fauconnier est un planteur fort occupé. Il ne peut s’absenter très longtemps. Il ne peut pas se permettre d’accompagner sa famille dans un tour de péninsule. Il leur avait promis d’aller les accueillir à Colombo, faute de temps, ils devront se contenter de passer une nuit ensemble à Singapour. Il ne proposera donc que des excursions d’une journée autour de son domaine de Rantau Panjang situé dans le Selangor. Plus qu’un voyage en Malaisie, c’est à une découverte de Kuala Lumpur et de ses environs qu’il nous invite.
Les limites sont ensuite historiques. Le voyage est daté avec précision. Nous connaissons les dates d’arrivée et de départ. Il s’agit du premier semestre de l’année 1910. Une bonne période pour les cours du caoutchouc. J’ajouterai à ce voyage quelques informations glanées lors du retour des membres de la famille pour le mariage de Marie en 1914 ou bien de Madeleine qui revient en lune de miel avec Henri en 1917. Bref, c’est le début du XXème siècle, c’est la Belle Époque juste avant le choc terrible de la Grande Guerre.
Enfin, les limites tiennent aux sources épistolaires. La correspondance abonde avant et après le séjour, mais pendant, lorsque la mère, les sœurs et le frère sont ensemble, ils ne s’écrivent pas (pas de lettres entre novembre 1909 et août 1910). Seule la mère, Mélanie entretient une correspondance régulière avec le petit frère d’Henri, Charles, qui n’a pu se joindre à l’équipée malaise, car on l’a envoyé en Angleterre étudier l’anglais, exactement comme Henri l’avait fait six ans plus tôt. Malheureusement personne n’a tenu le Journal de ce premier séjour familial. Au plus près, nous avons le roman que Geneviève publiera en 1932, Micheline à bord du Nibong, mais qu’elle a écrit après son retour, entre 1910 et 1913 et les nouvelles d’Évocations qu’elle a écrites en 1960.
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