Une excellente nouvelle pour clore cette année qui, à bien des égards, aura été particulièrement éprouvante : le pantun, ou pantoun, cette forme poétique originaire de l’archipel malayo-indonésien, vient d’être inscrit au Patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO ! Comme vous le savez, notre site est particulièrement attaché au pantoun, et nous avons publié plusieurs articles à son sujet au fil des ans. La revue Pantouns a même d’abord été hébergée sur Lettres de Malaisie avant de voler de ses propres ailes chez nos amis de Pantun Sayang. Plus que jamais, nous vous invitons donc à découvrir cette forme poétique remarquable qui a tant à nous offrir… afin, aussi, de laisser passer un brin de poésie dans nos cœurs en cette période de fêtes.
A titre d’information, nous reproduisons ci-dessous le contenu partiel du dossier de candidature ayant permis l’inscription du pantoun au Patrimoine mondial de l’humanité. Nous en profitons pour féliciter toutes les personnes impliquées dans ce processus fastidieux, et tout particulièrement, côté malaisien, le Professeur Muhammad Haji Salleh, compagnon de la première heure de Lettres de Malaisie et de Pantun Sayang. Nous avons aussi une pensée pour Roland Fauconnier, fils d’Henri Fauconnier, qui nous a quittés en octobre dernier et dont le dévouement à la mémoire de son père aura contribué à une diffusion sans précédent du genre pantoun en langue française.
Pour une initiation en douceur et dans la bonne humeur à la forme du pantoun, nous vous encourageons à visiter sans attendre le site de Pantun Sayang et à feuilleter sa revue Pantouns et Genres brefs.
Dossier de candidature n° 01613
pour inscription en 2020 sur la Liste représentative
du patrimoine culturel immatériel de l’humanité
Fournissez une description sommaire de l’élément qui permette de le présenter à des lecteurs qui ne l’ont jamais vu ou n’en ont jamais eu l’expérience.
Le pantun est une forme de poésie malaise qui permet d’exprimer des idées et des émotions complexes tout en maniant l’art de l’interprétation métaphorique dans un langage subtil. Le pantun est considéré comme un lien permettant d’unir les différentes communautés qui le pratiquent. Dans sa forme la plus courte, le pantun est composé de deux vers, suivant le rythme a-b-a-b. Il est très rare qu’un pantun comporte plus de huit vers. La forme à quatre vers est la plus populaire et la plus aisément interprétée à l’oral.
Le pantun véhicule généralement les valeurs de la communauté, surtout ses préoccupations d’ordre moral. La transmission de ces messages se fait généralement de façon subtile et détournée. Les pantuns sont des modèles de discours formel courtois. Le premier et le deuxième vers servent d’introduction, tandis que le troisième et le quatrième révèlent le sens de la strophe. Chaque vers contient généralement quatre mots qui totalisent 8 à 12 syllabes. Le pantun peut être transmis oralement, en musique, en chanson, à l’écrit, ainsi que sur Internet, à la télévision et dans la presse écrite.
Le vers introductif emploie des métaphores tirées de la nature pour décrire des expériences et la sagesse acquise grâce à elles. Il préfigure le sens qui va être révélé au vers suivant. Traditionnellement, ce vers emploie des symboles tirés de la nature et fait souvent référence à la flore et à la faune locales. Par leur choix de ces éléments, les praticiens du pantun traduisent des émotions, des pensées et des modes de vie humains. Ces vers élégants permettent d’entrevoir la perception qu’ont les communautés locales de leur relation à la nature et d’avoir un bref aperçu des cultures malaises.

© Policy Research Center of Education and Culture, Ministry of Education and Culture, Indonesia, 2017
Identifiez clairement un ou plusieurs communautés, groupes ou, le cas échéant, individus concernés par l’élément proposé.
Toutes les communautés qui pratiquent le pantun en Indonésie et en Malaisie sont profondément attachées et impliquées dans cette forme d’expression et sa pratique. Il s’agit notamment des pemantun, des chanteurs et praticiens de pantun, des musiciens traditionnels qui accompagnent le pantun, des gardiens des coutumes traditionnelles, des praticiens de rituels, des artistes culturels et des responsables des autorités centrales et locales. Les communautés qui pratiquent le pantun se trouvent en Indonésie et en Malaisie. Les peuples de ces deux pays ont depuis longtemps une histoire et une culture qui s’entrecroisent.
Les communautés qui pratiquent le pantun en Indonésie sont les suivantes : les Malais de Riau et des Îles Riau, les Betawi, les Chinois peranakan, les Minangkabau, ainsi que les habitants de Manado, d’Ambon, de Ternate, de Tidore, de Banjar, de Sambas et de Sintang.
Les communautés qui le pratiquent en Malaisie sont : les Malais, les Orang Asli, les Bajau, les Ida’an, les Kedayan, les Baba Nyonya, les Chitty, les Kristang et les Chinois.
Fournissez des informations sur la présence de l’élément sur le(s) territoire(s) de l’(des) État(s) soumissionnaire(s), en indiquant si possible le(s) lieu(x) où il se concentre.
Le pantun, dans ses nombreuses variantes, est pratiqué dans 35 langues et 30 dialectes malais en Asie du Sud-Est. Ses textes ont été traduits en néerlandais, en français, en anglais, en allemand, en italien, en tchèque et en chinois. Des pantuns sont aujourd’hui composés en français et en anglais.
En Indonésie, le pantun malais s’est répandu à Sumatra (Minangkabau, Kampar, Malais de Tanjungpinang et Lingga), Kalimantan (Banjar, Kutai), Sulawesi (Manado, Gorontalo, Makassar), aux Moluques (Ambon, Ternate, Tidore) et Java (Malais betawi, Chinois peranakan).
En Malaisie, le pantun est très courant dans les États de Kedah, de Perlis, de Perak, de Pahang, de Penang, de Kelantan, de Terengganu, de Johor, de Melaka, de Selangor, de Negeri Sembilan, de Sabah et de Sarawak ainsi que dans les populations autochtones, notamment chez les Semai, les Semaqbrik et les Engkirat.
En Indonésie, le pantun est également présent dans des zones non malaisophones : à Sumatra (chez les Gayo, les Alas, les Karo, les Mandailing et les Toba), à Java (chez les Javanais, les Sundanais, les Madurais), à Bali (chez les Balinais), dans les Petites îles de la Sonde occidentales (chez les Sasak) et à Célèbes (chez les Minahasa, les Kaili et sur les îles Talaud). En Malaisie, les Iban, les Bidayuh, les Melanau, les Kedayan et les Bajau pratiquent tous le pantun.
Qui sont les détenteurs et les praticiens de l’élément ? Y-a-t-il des rôles spécifiques, notamment liés au genre, ou des catégories de personnes ayant des responsabilités particulières à l’égard de la pratique et de la transmission de l’élément ? Si c’est le cas, qui sont ces personnes et quelles sont leurs responsabilités ?
Toutes les communautés qui pratiquent le pantun, en Indonésie et en Malaisie, sont profondément attachées et impliquées dans cette forme d’expression. Ses praticiens sont nombreux, emmenés par le pemantun (narrateur), les chanteurs et les chefs coutumiers. Le pantun peut être déclamé à l’occasion de mariages, de rites coutumiers, de rituels de guérison ou bien lors de spectacles sur scène. De nos jours, en Indonésie et en Malaisie, les cérémonies officielles, les discours et les séminaires débutent souvent par des pantuns bien choisis. L’usage du pantun est ainsi très répandu. Le pantun est enseigné de façon formelle dans les écoles et les ateliers à vocation artistique, ainsi que lors de séances et de concours d’humour informels. Outre ces contextes traditionnels, on utilise également le pantun pour vendre des produits à la radio, à la télévision et dans la presse écrite.
L’Indonésie et la Malaisie partagent une plate-forme de coopération qui est reconnue depuis longtemps. Les stations de radio de Malaisie, d’Indonésie et de Brunei ont de nombreuses émissions communes de concours de pantun. Le pantun est un patrimoine oral précieux, préservé par le Conseil de la littérature d’Asie du Sud-Est (MASTERA).
Compte tenu du vaste périmètre d’expansion de la tradition du pantun, celui-ci devrait être reconnu non seulement comme patrimoine malais, mais aussi comme tradition commune à tous ceux qui utilisent le pantun.
La tradition orale du pantun se transmet à travers les activités de la vie quotidienne ainsi que par des moyens plus formels, comme les rituels et les coutumes. Dans les communautés, les aînés et les chefs coutumiers enseignent le pantun aux enfants et aux jeunes apprentis. Or, ce mode de transmission s’atténue progressivement, du fait que les changements sociaux altèrent les rituels locaux et les pratiques coutumières et bouleversent les valeurs entre passé et présent. Néanmoins, les modes de transmission formels du pantun restent en vigueur et sa transmission formelle se poursuit dans les écoles et les médias. En Asie du Sud-Est maritime, de nombreuses cultures n’expriment pas directement les émotions ou les opinions tranchées. Il est plus acceptable socialement de s’exprimer de manière indirecte, en étant courtois et en évitant les confrontations directes. Le pantun est enseigné dans le cadre de la langue et de la littérature malaises, à tous les niveaux d’enseignement, y compris à l’université.

© Policy Research Center of Education and Culture, Ministry of Education and Culture, Indonesia, 2017
Quelles fonctions sociales et quelles significations culturelles l’élément a-t-il actuellement pour sa communauté ?
Pour les communautés malaises, le pantun a un rôle social important. En plus d’être un instrument de communication sociale dans les différentes activités sociales, culturelles et économiques, il agit également comme un symbole de l’identité malaise, en particulier sa belle langue et ses images et symboles raffinés, tous exprimés de manière courtoise et indirecte.
La communauté malaise utilise le pantun comme un instrument de morale et d’accompagnement social, du fait de son important contenu social. Les différentes déclinaisons des proverbes – petatah petitih, amanah, renferment souvent des recommandations au sujet de la communauté et des valeurs religieuses. Ces vers reflètent également le raffinement du budi – des valeurs idéalisées de retenue, de courtoisie, de bonté, d’humilité, de respect, de patience et de sincérité, importantes dans la culture malaise.
Du point de vue philosophique, le pantun reflète plusieurs valeurs culturelles et modes de vie. Il met en avant l’équilibre, l’harmonie et la souplesse dans les interactions et les relations humaines. Le pantun exprime également une relation à la nature qui cherche à établir l’harmonie, une relation harmonieuse entre les êtres humains et le milieu naturel qui invite tout un chacun à apprendre des manifestations de la nature et des saisons. Ce concept est mis en évidence dans le proverbe malais alam terkembang menjadi guru : la nature s’ouvre pour enseigner.
Existe-t-il un aspect de l’élément qui ne soit pas conforme aux instruments internationaux existants relatifs aux droits de l’homme ou à l’exigence du respect mutuel entre communautés, groupes et individus, ou qui ne soit pas compatible avec un développement durable ?
Le pantun est conforme aux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme. La tradition du pantun encourage le respect mutuel entre les communautés, les groupes et les individus. C’est la forme d’expression orale la plus répandue en Asie du Sud-Est maritime, employée dans de nombreux secteurs de la région depuis au moins 500 ans. Le pantun constitue un moyen d’exprimer des idées, de se divertir ou de communiquer, quelle que soit sa race, sa nationalité ou sa religion. C’est également un moyen d’exprimer son amour, puisque plus de 70 % des compositions expriment l’amour pour son/sa partenaire, sa famille, la communauté ou la nature.
Le pantun est pertinent pour trois raisons principales : il est diplomatique, démocratique et a souvent servi d’instrument de résolution des conflits. Il est diplomatique étant donné que cette forme poétique est utilisée pour parler de sujets importants, mais avec une sensibilité qui aide à préserver le respect mutuel pour les deux parties. Il est démocratique car il n’exprime pas de hiérarchie dans son langage et son vocabulaire, ni de catégorisation sociale. Le pantun peut être composé et déclamé par n’importe qui : rois, ministres, dignitaires ou personnes ordinaires. Des études se sont intéressées à la manière dont les pantuns étaient utilisés pour résoudre les conflits avec douceur et délicatesse et ainsi rétablir la relation dans son état original pré-conflit.
Comment l’inscription de l’élément sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité pourrait-elle contribuer à assurer la visibilité du patrimoine culturel immatériel en général (et pas uniquement de l’élément inscrit en tant que tel) et à sensibiliser à son importance ?
L’inscription du pantun sur le registre du PCI de l’UNESCO augmentera la visibilité des relations entre le PCI, la conservation de la nature et l’environnement. Le sampiran, vers introductif du pantun, renvoie à des éléments de la nature et de l’environnement naturel. Le pantun peut être déclamé par n’importe qui, indépendamment de l’âge, du genre ou de la classe sociale.
À l’échelle locale, cette inscription confèrera une reconnaissance aux praticiens du pantun et renforcera la visibilité et l’importance du savoir local, en aidant à le transmettre aux générations suivantes.
À l’échelle régionale, cette inscription renforcera l’esprit de patrimoine commun ainsi que la coopération culturelle, en particulier entre pays voisins du sud-est asiatique.
À l’échelle mondiale, cette inscription attirera l’attention du monde entier sur les traditions orales qui continuent d’être adaptées. Dans leur forme internationale, des pantuns sont composés dans plus de 20 langues et sont devenus un sujet de recherche et d’expérimentation.

© The Department of National Heritage (JWN), Malaysia, 2017
Veuillez expliquer comment ceci serait réalisé au niveau national.
Au niveau national, cette inscription sensibilisera davantage au PCI et à la Convention de l’UNESCO qui reconnaît et apprécie la diversité culturelle. Cette reconnaissance attirera également l’attention sur l’importance de préserver le pantun et de le transmettre aux générations futures en encourageant indirectement la population à apprendre et à sauvegarder cette tradition orale.
Par ailleurs, cette inscription, si elle a lieu, promouvra le pantun dans les communautés qui le pratiquent en Indonésie et en Malaisie. L’inscription du pantun augmentera la visibilité, non seulement du pantun lui-même, mais aussi d’autres formes de patrimoine culturel immatériel.
On espère que cette reconnaissance agira comme catalyseur pour encourager les gouvernements d’Indonésie et de Malaisie à sauvegarder et promouvoir ce patrimoine oral et littéraire afin d’assurer sa continuité dans l’avenir.
Veuillez expliquer comment ceci serait réalisé au niveau international.
L’inscription du pantun comme forme d’expression régionale renforcera la compréhension mutuelle et la coopération entre les pays du sud-est asiatique (Indonésie, Malaisie, Singapour, Brunei Darussalam et Thaïlande) en vue de préserver leur patrimoine culturel commun. Au niveau international, cette inscription attirera l’attention du monde entier sur des exemples de tradition orale qui sont aujourd’hui adaptés, suite au processus de mondialisation. Des pantuns ont été étudiés par des universitaires européens et traduits en plusieurs langues, notamment en français, en allemand, en anglais et en néerlandais. Cette inscription sensibilisera également les communautés qui le pratiquent à l’importance du pantun. Les listes internationales du patrimoine culturel immatériel peuvent jouer un rôle crucial pour faire reconnaître aux communautés de praticiens l’importance de transmettre les traditions d’une génération à l’autre. Cette liste internationale augmentera également la visibilité du pantun et d’autres formes de traditions orales et de patrimoine culturel immatériel communes à l’Indonésie et à la Malaisie.
Comment le dialogue entre les communautés, groupes et individus serait-il encouragé par l’inscription de l’élément ?
L’inscription du pantun ravivera le dialogue entre des communautés similaires sur le plan culturel qui ont été divisées par des frontières coloniales et nationales. Le dialogue entre ces communautés passera par des festivals, des célébrations communes et des rituels. L’inscription sensibilisera davantage les communautés à l’importance de la coopération pour sauvegarder leurs traditions orales. Elle favorisera ainsi le dialogue entre et dans les communautés concernées.
Le pantun est source de conseils, de courtoisie, d’éducation, de valeurs, de relations éthiques entre personnes de différents groupes d’âge ainsi que d’informations sur les populations du Pasisir et leurs pratiques traditionnelles. La teneur culturelle de cet élément motivera les experts des domaines des langues, de la culture et des sciences sociales.
Des échanges culturels seront encouragés entre les communautés du pantun de Malaisie et d’Indonésie. Des poètes, des musiciens, des chanteurs et des danseurs traditionnels participent notamment à des festivals de pantun. Le pantun ouvre donc un espace de dialogue entre différentes communautés ethniques qui le pratiquent.

© The Department of National Heritage (JWN), Malaysia, 2017
Comment la créativité humaine et le respect de la diversité culturelle seraient-ils favorisés par l’inscription de l’élément ?
Les traditions orales sont une des manifestations de la créativité humaine. La tradition orale du pantun exprime dans une forme poétique les connaissances locales sur l’environnement ainsi que les valeurs éthiques et esthétiques. Le pantun est également présent dans d’autres arts, comme la musique, la danse, la langue et le théâtre traditionnel. L’interprétation du pantun démontre de la créativité pour communiquer à travers une belle versification. Ces différentes interprétations permettent aux membres d’une communauté d’exprimer leur créativité individuelle. La beauté d’expression des textes du pantun incite les personnes à créer des pantuns sous d’autres formes comme la musique, la danse et le théâtre traditionnel.
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