Le Trésor Malais

Serge Jardin prend la plume pour nous présenter le dernier ouvrage de Georges Voisset consacré au pantoun : Le Trésor Malais. 250 pantouns (ITBM, 2015). Des « chemins de la sangsue » jusqu’aux carrefours du monde poétique qui l’entoure, c’est un voyage au pays énigmatique du pantoun que nous propose Georges Voisset dans ce florilège de 250 textes poétiques, présentés à la fois en version originale et en traduction française.

Le fort de Malacca détruit
Bannie l’histoire au vent mauvais
Encore et toujours Georges l’écrit
Pantoun est le trésor malais

Il fallait que cela arrive…

Voisset - 250 PantounsOn ne publie pas impunément Pantouns malais en 1993, Le vrai pantoun en 1994, Le pantoun malais aujourd’hui en 1996, Histoire du genre pantoun en 1997, Pantouns malais en 2009, Le Chant à quatre mains en 2010 et Une Poignée de Pierreries en 2014 chez des éditeurs français, destinés à un public francophone, sans qu’un jour on ne vous demande des comptes. Je ne veux pas dire des droits d’auteurs, car le pantoun, anonyme, oral et populaire n’a que faire de balances des comptes, et de pertes et profits.
Quoique, ironiquement, n’oublions pas que c’est à un modeste fonctionnaire des impôts, nommé Ernest Fouinet que le grand Hugo doit d’avoir découvert cette Poignée de Pierreries venues de l’extrême de l’Orient. Une coquille (malencontreuse ou volontaire ?) et notre pantouN devenu le pantouM finira dans les salons dorés et glacés de Nobel (G. Séféris en 1962 et à nouveau en 1984 avec J. Seifert), mais c’est une autre histoire.
Revenons à notre Trésor Malais, il fallait bien qu’un jour ou l’autre la Malaisie revendique ce qui lui appartient. Pour la première fois, c’est dans le pays où ils sont nés que Georges Voisset a choisi de présenter et de traduire 250 pantouns. Il fallait oser. Un Français qui ne se contente plus d’offrir un genre poétique exotique à son lectorat captif, mais un « Orang Puteh » qui partage son plaisir avec ceux qui ont créé le genre. Une gageure ?

En guise d’introduction…

Georges Voisset

Georges Voisset

D’abord on définit le genre. Le pantoun est un quatrain, à rimes alternées ab/ab, les deux premiers vers sont le pembayang ou ombre portée les deux derniers sont le maksud ou sens. La première partie donne à voir un paysage, la seconde porte un message. Toute l’âme du pantoun tient dans la relation (du sens et des sons) entre ces deux parties.
Puis on élargit le champ. Le quatrain peut devenir sizain. Le pantoun peut se démultiplier et devenir berkait ou lié. C’est ce pantoun lié, qui va donner naissance au pantouM, un genre poétique occidental qui oubliera bien vite ses racines malaises. Mais restons en Malaisie, ou le pantoun est joute oratoire, proverbe, comptine, échanges amoureux, leçon de morale, publicité commerciale… Le pantoun est partout chez lui dans l’Archipel malais.
Vient ensuite, pour le plaisir de la lecture une tentative de classification, dont Georges Voisset reconnaît lui-même bien volontiers les limites. Il consacre un premier chapitre au pantoun amoureux. C’est sans doute dans le discours amoureux que le pantoun se trouve comme un poisson dans l’eau, ce que Victor Ségalen résume merveilleusement: « Révéler sans tout dire, voiler pour mieux dire ». Le second chapitre est consacré aux joies et aux peines, aux travaux et aux jours, le troisième puise aux sources de la littérature, le quatrième enfin est consacré aux horizons élargis, aux autres communautés pantouneuses et à la poésie contemporaine.

« Le mot à mot est ce qui trahit le mieux », Henri Fauconnier

Georges Voisset ne pouvait pas ne pas poser la question de la traduction. En effet le livre s’adresse tout à la fois au public francophone comme au public malaiophone, les pantouns sont donnés dans leur forme originelle et sont traduits en français.
Entre la beauté des mots, des sonorités et le sens, réside toute l’angoisse du traducteur. Faut-il être fidèle au plus près, ou bien être poétique ? Pour notre plus grand bonheur Georges Voisset choisit la poésie ! Derrière le traducteur, on sent poindre l’adoucisseur de soucis, le jardinier des mots, le tailleur de gemmes, quelques-unes parmi les dix-sept expressions qui servent à définir l’auteur dans la langue malaise.

Le pape du pantoun

Logo Pantun SayangC’est sans doute Henri Fauconnier, qui a fait entrer le pantoun (le vrai, avec un n) dans la littérature française en obtenant le prix Goncourt en 1930 avec Malaisie (qui vient finalement d’être traduit en malais). Il les a aimés, il les a traduits, et il en a écrit. Puis vint François-René Daillie, le premier directeur de l’Alliance Française de Kuala Lumpur en 1961 dont le magnum opus est La Lune et les Etoiles, publié en 2000, une formidable recension de 504 pantouns.
Depuis plus d’un quart de siècle le maître du pantoun s’appelle Georges Voisset. Agrégé de lettres, professeur de littérature comparée, c’est jeune débutant à l’université de Singapour qu’il a découvert le petit quatrain qui l’a ensorcelé et ne l’a jamais quitté depuis. Il l’a fait entrer dans les revues de poésie et dans les revues universitaires. Il l’a installé à l’UNESCO. Il lui a donné ses lettres de noblesses en couvrant les murs des stations du métro parisien en 1995 du petit quatrain malais. Aujourd’hui Georges Voisset est président de Pantun Sayang, l’Association Francophone du Pantoun, qui organisant concours et séminaire, publiant une revue trimestrielle, animant un site sur la toile, donne au pantoun une visibilité sans précédent, en France et bien au-delà.

Une poignée de pierres précieuses…

Pantoun en JawiLa marque de fabrique de ce petit quatrain a longtemps été d’être anonyme, oral et populaire. Ce n’est plus tout à fait vrai, les pantouns s’écrivent et se signent. Ne le regrettons pas, sans cela il nous serait bien difficile d’y avoir accès aujourd’hui.
S’il est l’expression par excellence du désir amoureux, il exprime aussi le désamour, la jalousie et la souffrance. Le pantoun sait être délicieusement érotique, comme « ces tétons poussant le chemisier ». Il est voyageur et fait voile de Langkawi à Sarawak. Comme nos fables, il traduit aussi le bon sens, et distribue les conseils. De l’Histoire de Pelandok le petit chevrotain, en passant par les Annales malaises, chroniques des sultans de Malacca, ou bien l’Epopée de Hang Tuah, il irrigue la littérature classique malaise. On le retrouve dans les prémisses de la littérature moderne avec l’Autobiographie d’Abdullah. Et puis les poètes contemporains ne sont pas oubliés, d’Usman Awang à Muhammad Haji Salleh, ainsi que Papa Joe, le roi des pantouneurs créoles de Malacca. Notons un absent, l’iconoclaste, Salleh ben Joned (coup de ciseaux de l’éditeur ?) et pour (presque) conclure ce florilège poétique le pantoun d’un breton, Jean de Kerno, dont le perahu vint s’échouer dans les années 1970 sur les côtes malaises.
L’ITBM (Institut de la Traduction et du Livre de Malaisie) est la nouvelle arme de publication massive de Malaisie. Nul ne se plaindra de la quantité de leur production, par contre la commercialisation est loin d’être à la hauteur. Et si vous habitez en Malaisie, il vous faudra sans doute vous rendre à leur siège (2 Jalan 2/27E, Seksyen 10, Wangsa Maju à Kuala Lumpur), car la possibilité de trouver le recueil dans une librairie est plutôt faible.

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