Kuala Lumpur Alternative Bookfest 2012

Les 23 et 24 juin s’est tenu le Kuala Lumpur Alternative Bookfest, au tout dernier étage de l’Annexe du Central Market. Comme chaque année, cet évènement rassemble un échantillon éclectique de maisons d’édition, de libraires et d’associations dans le but de promouvoir non seulement la littérature et l’édition indépendante, mais aussi une certaine idée de la liberté d’expression, loin des standards promus par l’État central malaisien.

Que le festival ait finalement été maintenu en cette année cruciale d’élections est en soi une petite (et excellente) surprise. Qu’il attire toujours autant de monde, et notamment une jeunesse citadine assoiffée de littérature alternative, n’en est plus une. Au programme pour cette édition, en plus des traditionnels stands de vente de livres : la remise des prix « Aiyo Wat La ?! » (pour la promotion de l’égalité des sexes et la lutte contre toute forme de sexisme et d’homophobie), plusieurs lancements de livres (dont Malay Sketches d’Alfian Sa’at et Timid d’A.B. Hashim), la conférence « What are you? » (sur le phénomène de racialisation des relations sociales en Malaisie), et la projection de plusieurs courts-métrages organisés par l’éditeur Buku Fixi et la maison de production Queer As Films. Sans oublier que l’évènement se tenait en conjonction avec le marché d’artisanat alternatif Art for Grabs ! Il y avait donc de quoi (re)découvrir plusieurs facettes méconnues de la Malaisie moderne, loin des clichés touristiques ou de la propagande gouvernementale.

Parmi les livres exposés, un certain équilibre linguistique se dégage : environ 40% de livres en anglais, et 60% de livres en bahasa malaysia (sans oublier quelques rares ouvrages en chinois, dont le manifeste pro-gay rights de Ouyang Wen Feng). Pour les livres en anglais, les maisons d’éditions les mieux représentées sont Silverfish Books, Storm et Matahari Books. Présent sur les lieux, Raman Krishnan de Silverfish Books nous rappelle qu’à l’heure actuelle, le secteur de l’édition en Malaisie est en pleine quête identitaire. D’une part, les éditeurs établis ne publient plus que des ouvrages insipides, ne s’autorisant plus la moindre prise de risque, tandis que les petites maisons indépendantes repoussent toujours plus loin les limites de l’exploration du réel (fringe literature), quitte à s’attirer les foudres de la censure. Ainsi mis dos à dos, chaque camp soutient avancer dans la bonne direction. Combien de temps ce système pourra-t-il perdurer, nul ne le sait.

Quant aux livres en malais, la part belle est faite aux titres punchy publiés par les maisons Buku Fixi et Lejen Press dans le domaine de la fiction, SIRD dans le domaine de la non-fiction, bien souvent politique. Amir Muhammad, réalisateur bien connu sur la scène alternative en plus d’être le fondateur des maisons Buku Fixi et Matahari Books, parcourt joyeusement les allées, serre de nombreuses mains et signe ici et là quelques autographes. Il n’est pas surpris de l’enthousiasme suscité par l’évènement, comme en écho aux dernières manifestations Bersih de juillet 2011 et d’avril 2012. La projection des courts-métrages, dont il assure la présentation, a fait salle plus que comble et la jeunesse présente, à grande majorité malaise, semble allier sans complexe idées avant-gardistes et foi musulmane.

Parmi les autres exposants, on repère un stand pour la promotion du droit de vote en Malaisie, un autre pour l’excellente boutique The Penang Bookshelf tenue par le Britannique William Knox (il expose ce jour-là plusieurs livres rares en traduction anglaise et malaise, dont une version malaise de Sous les Tilleuls, de Jean-Baptiste Alphonse Karr, traduite depuis le français via l’arabe sous le titre Magdalena), et un autre encore pour le collectif New Village, qui publie un zine multidisciplinaire pour la promotion de jeunes artistes talentueux de Malaisie, à l’image de l’écrivaine Shivani Sivagurunathan. Sans oublier plusieurs ouvrages en lien avec l’Islam… mais pas de traces (du moins visibles) de l’ouvrage d’Irshad Manji, Allah, Liberty & Love, interdit de distribution en Malaisie depuis le 14 juin dernier.

En conclusion, cette année encore, et malgré le climat politique incertain, le KL Alternative Bookfest est parvenu à rassembler un panel rafraîchissant d’ouvrages, d’exposants et de personnalités, qui invite à la découverte et incite à la réflexion. On est ici bien loin des standards anesthésiants de l’édition traditionnelle malaisienne ou des étalages réchauffés des grandes surfaces surclimatisées, et l’on ne peut que souhaiter longue vie à ce genre d’évènements. Pour que la scène littéraire de Kuala Lumpur continue de vibrer et de susciter des vocations.

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