À bien étudier le marché – en plein essor – de l’édition malaisienne, on y trouve des éditeurs reconnus à l’échelle internationale, un lectorat grandissant, des acquisitions de droits littéraires en plein boom et des projets numériques innovants. Un article de Vinutha Mallya, paru sur Publishing Perspectives en marge du KL Book Fair organisé en avril dernier.
Du 25 au 28 avril dernier, Kuala Lumpur a accueilli l’un des plus grands salons pour l’acquisition de droits littéraires d’Asie du Sud-Est. En Malaisie, le marché de ces droits a reçu une impulsion supplémentaire grâce à l’organisation simultanée, du 27 avril au 6 mai, du Kuala Lumpur Trade Copyright Centre (TCC), un salon annuel des droits d’auteur pour la zone ASEAN, déjà dans sa quatrième édition.
Cette année, plus d’une quarantaine de participants du secteur ont été recensés, soit une hausse de 40 % par rapport à l’année dernière. Les exposants proviennent de Malaisie, Singapour, Thaïlande, Indonésie, Chine, Corée du Sud, Vietnam et des Philippines. « Nous espérons que de plus en plus de maisons d’édition et d’agences littéraires en dehors de l’ASEAN viendront ici négocier leurs droits », dit Arief Hakim Sani Bin Rahmat, secrétaire honoraire de l’Association Malaisienne des Éditeurs de Livres (Malaysian Book Publishers Association, MABOPA).
Cette ambition d’accueillir plus de négociations de droits littéraires à l’échelle de l’ASEAN, et même au-delà, s’ajoute aux efforts récents du côté malaisien pour promouvoir de manière agressive l’industrie locale du livre lors de salons internationaux. Le pavillon collectif du pays, mis en place par le National Book Council (MBKM), a récemment participé aux salons de Francfort, Pékin et Bologne afin de présenter au monde une sélection des meilleurs ouvrages malaisiens. Pour la première fois aussi, ce même pavillon a été déployé dans le cadre du Salon International du Livre d’Abu Dhabi (avril 2012).
Une croissance rapide
Le secteur malaisien de l’édition connaît une croissance rapide, soutenue activement par le gouvernement. Le nombre de maisons d’édition est estimé à environ 500, avec Kuala Lumpur comme épicentre. La majorité de ces maisons sont privées et de petite taille, le reste regroupant soit des institutions gouvernementales, soit des organisations subventionnées par l’état malaisien, à l’image de presses universitaires ou divers autres services d’édition.
Alors qu’en 2005, le nombre d’ouvrages publiés se montait à environ 10 000, il a passé en 2009 la barre des 16 000 (environ 15 800 en 2010). Avec un taux d’alphabétisation de 92% pour une population de 28 millions d’habitants, le gouvernement malaisien s’est engagé, dans le cadre du Millenium Development Goals (MDG), à fournir une éducation pour tous d’ici 2015. L’éducation a fait l’objet d’un investissement massif en 2009 (23% du budget national annuel malaisien) et la Politique Nationale du Livre, adoptée en 1985, place toujours la priorité sur la production de livres éducatifs.
Plus de 50% des livres publiés en Malaisie sont donc des manuels scolaires. De manière paradoxale, 60% des ouvrages pour l’enseignement supérieur sont importés. Les efforts gouvernementaux pour la promotion de la lecture ont eu un impact sur la croissance du secteur de l’édition à l’échelle nationale. Une enquête menée par la Bibliothèque Nationale malaisienne rapporte que les Malaisiens lisent en moyenne 9 à 10 livres par an. Une enquête semblable tenue en 2005 révélait que les Malaisiens âgés de plus de 10 ans ne lisaient que deux livres par an, un chiffre inchangé depuis 1995 ! Comme la plupart des pays en développement, la Malaisie a souffert de l’absence d’une tradition forte d’écriture, de lecture et d’appropriation des livres. L’attention particulière accordée par le gouvernement au développement de bibliothèques et à la traduction semble aujourd’hui porter ses fruits.
L’édition se professionnalise
La popularité des livres est perceptible en Malaisie, où un engouement pour la fiction s’est fait grandissant sur la dernière décennie. « Nous observons clairement une tendance en termes de lecture, au-delà des simples manuels scolaires, vers un marché plus généraliste et de loisirs », explique Arief Hakim Sani, également directeur général de PTS Publications & Distributions, l’un des principaux acteurs sur le marché des livres en malais.
La fiction locale en langue anglaise suscite un certain intérêt à l’étranger de par sa visibilité obtenue sur les récents salons internationaux. Silverfish Books, qui publie de la littérature malaisienne en anglais, jouit d’une réelle reconnaissance suite aux nominations de deux de ses titres pour le Frank O’Connor Short Story Award et le Commonwealth Prize. La maison d’édition MPH, une filiale de la chaîne bien connue de librairies du même nom, dispose également d’un portfolio impressionnant.
En parallèle, les agences commencent aussi à s’imposer sur la scène littéraire régionale. « Parmi les trois agences littéraires exerçant en Malaisie, et bien que toutes représentent des maisons d’éditions étrangères, seule Yusof Gajah Lingard représente également des auteurs », explique Linda Tan Lingard, directrice de l’agence. « Les autres agences se focalisent avant tout sur les livres d’apprentissage de l’anglais ». Selon Tan Lingard, les éditeurs locaux sont de plus en plus conscients du rôle des agents et sont heureux de faire appel à eux, notamment pour sonder les pays étrangers. Ils mettent aussi en place leurs propres départements juridiques.
Des livres multilingues et multiculturels
La Malaisie étant un pays multiethnique et multilingue, les livres sont publiés en trois langues : en anglais, en malais et en chinois. Au niveau politique, le gouvernement met l’accent sur la promotion de livres éducatifs en langue malaise, au travers du système scolaire. Sur le marché national, les livres en langue malaise ou chinoise ont un potentiel considérable de croissance. Quant aux ouvrages en tamoul, l’autre langue importante du pays, ils restent principalement importés depuis l’Inde.
« Le malais est aujourd’hui un marché très porteur, très concurrentiel aussi, avec plus d’éditeurs qui pénètrent le marché », dit Arief Hakim Sani. « La fiction et les ouvrages religieux constituent le gros du marché en langue malaise, suivie par les titres pour enfants ». « En Malaisie, un ouvrage est considéré comme best-seller à partir de 20 000 ventes, mais il n’est pas rare que certains livres de fiction ou religieux en malais dépasse la barre des 50 000, voire des 100 000 exemplaires vendus », ajoute Lingard.
Il existe aussi une niche pour les livres en chinois, rappelle Khoo Salma, éditrice chez Areca Books, qui publie des beaux-livres en anglais sur l’état et la ville de Penang. « Il s’agit d’un segment à croissance rapide. Mais comme la Malaisie reste un petit pays, le marché potentiel du livre, quelle qu’en soit la langue, reste finalement assez limité », dit-elle. « Cela signifie également qu’il existe plusieurs orientations possibles, car il reste beaucoup de sujets locaux d’importance sur lesquels aucun livre n’a encore été publié ». Quatre titres d’Areca Books figurent dans le catalogue des 50 Meilleurs Livres de Malaisie en 2011, édité par le National Book Council.
Des accords de diffusion internationale en hausse
À bien analyser l’intérêt des maisons internationales pour certains ouvrages malaisiens, « nous observons une demande soutenue pour les livres pour enfants, les livres sur l’Islam à vocation éducative ou commerciale, et les titres sur des sujets typiquement malaisiens », rapporte Arief Hakim Sani. Selon Tan Lingard, le National Book Council a annoncé le chiffre de 6 millions de ringgits (1,95 millions d’US$) pour les ventes dans le cadre du Salon de Francfort. Pour celui de Bologne, des ventes à hauteur d’un million de ringgits (330 000 US$) ont été enregistrées. Elle ajoute que « Pékin a été un grand succès commercial pour un éditeur malaisien publiant des ouvrages de fiction pour jeunes adultes en chinois – ils ont vendu les droits de réimpression d’une partie de leur portfolio. Un autre éditeur a aussi vendu les titres de sa collection scientifique ».
La publication d’ouvrages sur l’Islam est l’un des vecteurs importants de croissance pour le secteur malaisien de l’édition. La Malaisie dispose de liens forts avec le monde arabe, au travers de la religion ou des échanges commerciaux. Plusieurs livres en arabe ont été traduits en malais et ont obtenu un accueil enthousiaste en Malaisie. La priorité donnée à la traduction, par le biais de l’Institut National pour la Traduction, a eu pour conséquence une demande croissante pour les livres traduits.
Aux maisons d’édition internationales, Arief Hakim Sani et Linda Tan Lingard recommandent chacun deux angles d’approche : les droits pour les livres en traduction ou en réimpression, et les publications jointes ou en co-édition avec des maisons malaisiennes, particulièrement pour des titres en anglais.
Des avancées sur le numérique
Des développements intéressants se font jour dans le domaine du numérique en Malaisie. MPH, l’une des principales enseignes locales de librairie, a récemment lancé son portail numérique, tandis que la Bibliothèque Nationale vient d’étrenner son système d’emprunt d’e-books. « Je pense qu’en matière de numérique, 2012 marque l’arrivée d’évolutions intéressantes. Tous les facteurs sont réunis. Les tablettes et les smartphones se vendent comme des petits pains en Malaisie », se réjouit Arif Hakim Sani. Les publications numériques sont un autre filon que les éditeurs étrangers pourraient exploiter avec des développeurs de contenu malaisiens. Récemment, une application en langue arabe a été développée par la société malaisienne E-Sentral pour le système d’exploitation mobile iOS (et bientôt pour Android). Arif Hakim Sani est enthousiasmé par l’application. « Il s’agit d’un développement intéressant, car nous en avons besoin pour publier des e-books ayant trait à l’Islam ».
Sur le Trade Copyright Centre (TCC), les tendances inter-média ont concentré l’attention des participants, avec deux présentations tenues, l’une sur le thème du succès international des films locaux d’animation (Upin and Ipin), l’autre sur l’adaptation cinématographique d’un roman indonésien (Laskar Pelangi), qui a fait un carton au box-office en Indonésie.
L’Association Malaisienne des Imprimeurs rapporte que le secteur de l’impression fait sans doute partie du Top 5 des plus grandes industries du secteur manufacturier national. « Pour les maisons d’édition étrangères, la Malaisie est un territoire à prospecter », explique Bob Poh de Phoenix Press. « Le pays offre de sérieux avantages, non seulement sur le plan de la qualité, mais aussi en termes logistiques », ajoute-t-il.
La Malaisie, qui ne souhaite pas se voir réduite à une simple destination touristique populaire d’Asie du Sud-Est, s’impatiente à l’idée de s’imposer en tant que marché clé du livre, un marché que les acteurs internationaux ne pourront bientôt plus ignorer.
Source : Publishing Perspectives.