Rencontre avec Eeleen Lee, auteure de nouvelles

C’est dans le cadre du Kuala Lumpur Alternative Bookfest que nous avons fait la connaissance d’Eeleen Lee, une jeune écrivain malaisienne d’origine chinoise. Francophile et passionnée de littérature alternative, elle a pu aiguiser sa plume dans divers recueils déjà publiés, aussi bien en Malaisie que du côté de Singapour. C’est avec gentillesse qu’elle a accepté de répondre à nos questions.

A quel moment avez-vous su que vous vouliez devenir écrivain ?

A cinq ans, j’ai dû rédiger un texte pour présenter en classe un film que je n’avais pas vu. Il s’agissait de Tron, et mon petit commentaire était apparemment si convaincant que l’institutrice m’a demandé de le lire devant toute la classe. Déjà à l’époque, je me suis dit que je faisais là quelque chose qui me plaisait.

Avez-vous un modèle qui vous a incité à assouvir votre passion pour l’écriture ?

J’avais 16 ans quand j’ai mis la main sur un guide de l’œuvre de Franz Kafka qui m’a décidé à lire La Métamorphose et Le Procès. Ces deux livres, grâce au talent immense de leur auteur, prouvent à quel point la fiction littéraire reste le véhicule idéal pour l’immersion instantanée dans l’esprit d’un personnage. Des films tels que Fight Club ou Inception donnent la vision cinématique de cauchemars échappés d’un cerveau malade, mais même ceux-ci sont encore bien banals en comparaison des calvaires vécus par Gregor Samsa ou Josef K.

Quel genre d’histoires aimez-vous raconter ? Sont-elles les mêmes que celles que vous aimez lire ?

Ray Bradbury disait : « Découvre ce que ton héros veut et suis-le ! » Lorsque j’écris, j’essaie de toujours garder ce fantastique conseil à l’esprit. Je m’intéresse aux personnages qui souffrent d’obsessions et qui s’y abandonnent, pour le meilleur ou pour le pire.

Quels thèmes sont importants à vos yeux ? Se répètent-ils dans vos histoires ?

J’apprécie particulièrement J.G. Ballard, et mes thèmes sont semblables aux siens : l’impact de la technologie sur notre vie quotidienne, les malaises qu’engendrent la modernisation. Le monde naturel, et notamment l’océan, font des apparitions récurrentes dans mes histoires.

Ressentez-vous un certain esprit communautaire sur la scène littéraire malaisienne ? Vous sentez-vous libre d’exprimer tout type d’idées et d’opinions ?

Au début, j’avais le sentiment aigu d’être seule, sans pour autant souffrir de solitude. Il est très tentant de s’isoler dans l’écriture, car c’est une activité individualiste par excellence. Mais l’esprit communautaire reste tout de même très présent parmi les écrivains de Malaisie. Quant à mes opinions personnelles, je pense qu’elles ne méritent d’être exprimées que tant qu’elles contribuent à l’intrigue. Sinon, j’essaie d’éviter de haranguer mes lecteurs. Personne ne souhaite recevoir de sermon ou subir un coup de gueule en lisant un livre.

Vous avez été publiée à la fois en Malaisie et à Singapour. En termes de travail éditorial, voyez-vous des différences ou des ressemblances entre ces deux pays ?

Je suis très heureuse du grand professionnalisme que j’ai rencontré de part et d’autre. Je dois dire qu’il n’y a guère de différences entre ces deux pays.

Adhérez-vous à la critique récurrente au sujet de la littérature malaisienne, comme quoi elle serait trop locale et manquerait d’universalité ? Cherchez-vous à rendre vos histoires accessibles à tout type de lecteurs, d’où qu’ils viennent ?

Je suis d’avis que toute littérature, peu importe de quel pays elle provienne, est de toute façon locale à l’origine. On peut même dire qu’elle ne se définit pas forcément par son pays d’origine ; pensez aux États-Unis et vous aurez des auteurs provenant d’états différents : Paul Auster écrit sur sa New-York natale, William Faulkner sur le Sud profond et Stephen King situe la plupart de ses récits dans son état du Maine. En Malaisie, nous tendons à situer la plupart de nos récits à Kuala Lumpur, mais je sens qu’il y a encore de nombreuses pistes littéraires à explorer du côté d’états riches sur les plans historique et culturel, comme Penang ou le Perak. Tash Aw ou Tan Twan Eng l’ont d’ailleurs démontré en y faisant se dérouler leurs récits, justement récompensés.

Comment assurez-vous votre propre promotion et celle de vos histoires ? Avez-vous déjà envisagé l’auto-publication numérique pour vos écrits qui n’auraient pas trouvé preneur ?

Je tiens un blog et maintiens une présence sur Twitter. Je m’intéresse de près à l’expérience du numérique car je pense qu’il s’agit d’un format idéal pour la fiction courte, les recueils de micronouvelles ou toute autre forme de création littéraire qui s’imbrique difficilement dans les créneaux traditionnels de l’édition.

Quels livres lisez-vous en ce moment ? En recommandez-vous un en particulier ?

Je lis actuellement The Information de James Gleick, une histoire des communications et de l’Internet. Dans le domaine de la fiction, je préfère les anthologies : en tant que lecteur, on en retire une telle diversité créative. Je recommanderais l’excellente anthologie The Weird, éditée par Jeff et Ann VanderMeer, ainsi qu’une autre tout aussi magistrale : Dangereuses Visions, de Harlan Ellison.

Une jeune écrivain portée vers l’étrange

Difficile à première vue de se dire qu’Eeleen Lee est une accro à la littérature alternative, de la science-fiction à l’horreur, en passant par le crime et l’érotisme. Et pourtant, à la lecture de ses récits, force est de constater qu’elle excelle dans l’art de déstabiliser ses lecteurs, de les emmener vers des terres encore inexplorées. Lauréate de plusieurs prix, dont le Selangor Young Talent Award en 2011 pour sa micronouvelle Amplitude, les textes d’Eeleen Lee ont été publiés dans plusieurs recueils, dont Urban Odysseys (MPH Publishing, 2008), Crime Scene: Singapore (Monsoon Books, 2010), The Best of Southeast Asian Erotica (Monsoon Books, 2010) et Sini-Sana: Travels in Malaysia (MPH Publishing, 2011). Francophile et grande lectrice d’Albert Camus, elle réside aujourd’hui à Kuala Lumpur, sa ville natale.

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