Le monde littéraire s’invite à George Town

Ce dimanche vient de s’achever la deuxième édition du George Town Literary Festival (GTLF). Un festival qui aura fait honneur au thème qu’il s’était choisi : « Voyages. Hopes. Dreams » (Voyages. Espoirs. Rêves), avec un florilège d’auteurs et d’artistes venus de cinq continents différents, un savant mélange des genres littéraires en présence, et une proximité d’échanges propice aux confidences. Le tout sous le regard malicieux du Lauréat national Abdul Samad Said et dans le cadre exceptionnel de la vieille ville de George Town.

Pari réussi pour Bernice Chauly, l’organisatrice du festival. Des humbles débuts de la première édition du GTLF, où seule avait participé une poignée d’auteurs malaisiens (dont Bernice Chauly elle-même), l’évènement a pris cette année une ampleur qui dépasse de loin ses espérances. Le résultat mérité de six longs mois d’organisation, d’innombrables coups de fils et emails, de la pleine confiance que lui ont accordée auteurs et sponsors… et aussi d’un petit coup de pouce du destin. La venue à Penang de l’écrivain Tan Twan Eng, après la nomination de son roman The Garden of Evening Mists pour le prix Man Booker (le Goncourt britannique), aura fait souffler un petit vent de folie sur la communauté littéraire malaisienne. Le retour au pays de l’enfant prodigue, qui a fait du Cap, en Afrique du Sud, sa résidence principale, a certainement permis de faire monter le buzz autour de l’évènement, et les discussions auxquelles participait l’auteur ont à chaque fois (ou presque) fait salle comble.

Un résultat qui n’était pas acquis d’avance, dans un pays où la chose littéraire ne fait pas vraiment partie des préoccupations principales, où il n’existe pas même un prix annuel récompensant les meilleurs écrivains du cru. Les choses évoluent néanmoins, et dans le bon sens, avec une nouvelle génération d’auteurs et de lecteurs à l’appétit grandissant. Et George Town, parmi toutes les villes de Malaisie, est sans doute la seule où un tel évènement peut être amené à prospérer durablement. Décomplexée, un brin rebelle, superbe dans son écrin historique délicatement remis au goût du jour, elle est la ville littéraire par excellence de Malaisie, celle que prennent d’ailleurs pour cadre de nombreux romans et qui a séduit, au cours des décennies, plusieurs écrivains de renom, Somerset W. Maugham et Rudyard Kipling entre autres.

Une véritable communion s’est donc opérée entre cette ville et les participants du festival. Pour la plupart d’entre eux, c’était là leur première visite à George Town, voire en Malaisie, mais il semble d’ores et déjà acquis que ce ne sera pas la dernière. Parmi les auteurs venus de loin, on peut citer Judith Uyterlinde et Reggie Baay (Pays-Bas), David Van Reybrouck (Belgique), Andrew Greig (Écosse), Andre Vltchek (États-Unis) et Nii Ayikwei Parkes (Ghana), qui auront, chacun à leur manière, transmis leurs réflexions et leurs expériences au cours de discussions portant sur l’imaginaire, la démocratie, la femme, ou encore la course à l’argent dans le monde de l’édition.

Plus proches de la Malaisie, Alfian Sa’at et Ng Yi-Sheng n’ont eu qu’à traverser le Causeway depuis Singapour pour ravir le public de leurs lectures incisives et souvent irrévérencieuses. Originaire de Thaïlande, le poète Zakaria Amataya aura lui aussi charmé l’audience de ses vers mélodieux récités dans sa langue natale, tandis que Linda Christanty apportait un point de vue indonésien sur les femmes et les tabous en littérature. Côté malaisien, hormis la présence de Tan Twan Eng et du toujours sémillant Abdul Samad Said, il faut noter la participation des deux femmes écrivains les plus en vue du moment : Dina Zaman et Shivani Sivagurunathan. Cette dernière est à n’en pas douter une étoile montante de la scène littéraire asiatique, voire mondiale, et après un excellent recueil de nouvelles paru cette année (Wildlife on Coal Island), on attend avec impatience la sortie de son premier roman, prévu pour début 2013.

Autre révélation du festival : Omar Musa, jeune poète rappeur australien de 28 ans, jouissant déjà d’une belle réputation chez lui et sur la scène internationale du slam et du spoken word, mais encore assez méconnu sur la terre de ses ancêtres. Son père, lui aussi poète, est originaire du Sabah, sur l’île de Bornéo, et sa mère, Australienne d’origine irlandaise, a longtemps enseigné à l’université de Penang. Lui-même n’est venu pour la première fois en Malaisie qu’à l’âge de 19 ans, et le GTLF lui donne enfin l’occasion de se produire devant le public malaisien. Un grand moment, qu’il n’a pas manqué de partager sur ses comptes Facebook et Twitter, et qu’il a honoré en électrisant la salle à chacune de ses prises de parole. Un de ses poèmes (Lost Planet) figure dans le recueil Readings from readings 2, dont la sortie coïncidait avec le festival, et son tout premier roman sera publié en 2013 par Penguin Australia. Une traduction française suivra, on l’espère, assez rapidement.

Parmi les autres discussions organisées dans le cadre de l’évènement, la présentation des deux derniers romans parus chez Fixi, la maison d’édition dirigée par Amir Muhammad. Deux romans en malais, l’un intitulé Mangsa (Proie) de Gina Yap Lai Yoong, et l’autre Mental de Shaz Johar. Parmi les anecdotes les plus croustillantes entendues, en voici une de Gina Yap Lai Yoong : pour son tout premier roman, une histoire à l’eau de rose parue chez une autre maison d’édition, elle a dû mettre son patronyme d’origine chinoise au placard et le remplacer par un nom de plume à consonance malaise. Une exigence de son éditeur, qui craignait que le lectorat principal pour ce genre de titres, à forte dominance malaise, rechigne à acheter un roman dont l’auteur serait d’origine chinoise… Chez Fixi, Gina Yap Lai Yoong peut désormais fièrement signer de son propre nom tout en continuant à écrire en malais, une langue qu’elle préfère à l’anglais… et au chinois. La littérature en langue malaise, qu’on se le dise, a encore un bel avenir devant elle !

Après trois jours de festivités riches en rencontres et en découvertes, et ponctués chaque soir par des concerts de musiciens locaux (dont Az Samad, fils d’Abdul Samad Said et fabuleux guitariste, mais aussi Isaac Entry, Jerome Kugan ou encore Kien Lim), le rideau est finalement retombé sur la scène du festival de George Town, sans que la moindre fausse note n’ait retenti. A voir le sourire rayonnant de Bernice Chauly lors de la soirée de clôture, on la comprend soulagée, mais aussi comblée. Un succès populaire de bon augure pour l’édition 2013 et qui l’incite déjà à s’investir de plus belle pour rechercher de nouveaux partenaires et faire grandir l’évènement, sans compromettre ce côté convivial, presque familial, qui est l’une des clés évidentes de sa réussite. Le rendez-vous est pris pour l’année prochaine ; d’ici là, la belle ville de George Town continuera de polir son lustre d’antan, un lustre qui aura conquis le cœur de nombreux festivaliers lors de ces trois derniers jours.

Photos reproduites avec la permission de Penang Golbal Tourism.

2 réponses à “Le monde littéraire s’invite à George Town

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