L’édition indépendante, pépinière des talents littéraires

Selon certains esprits ronchons, l’industrie du livre s’essoufflerait de part et d’autre du Causeway, mais l’édition indépendante pourrait bien leur donner tort. Ces « indés », créés par des amoureux des mots et des passionnés de l’imprimé, publient aujourd’hui un florilège de talents tenus à l’écart des cercles littéraires dominants. Ils dénichent, encouragent et promeuvent des auteurs jeunes et en plein devenir, et leurs efforts trouvent un écho favorable chez une légion grandissante de lecteurs. Un article et des photos de Tan Lee Kuen, paru dans le magazine Going Places de janvier 2015.

Rabak Lit

©Tan Lee Kuen

L’un de ces « indés » est Rabak Lit, le bras littéraire de Projek Rabak, un collectif artistique de la ville d’Ipoh, au nord de la Malaisie, et dont les racines s’inscrivent dans la musique rock. Rabak Lit fut lancé en 2012 afin de maintenir en vie le collectif et de fournir un emploi et un revenu à ses membres. « Les ventes de livres dépassent celles des CD, donc je publie de plus en plus de livres. Notre objectif de départ avec Rabak Lit était de pouvoir nous concentrer sur la création artistique sans avoir à trimer dans des boulots à temps plein », explique l’un des fondateurs, Mohd Jayzuan.

La phase initiale du projet a vu la publication d’écrits de ce groupe d’amis d’Ipoh. Mais la sortie du recueil de poèmes Puisi Tepi Jalan de la chanteuse-compositrice Fynn Jamal aura marqué un vrai tournant. Le recueil s’est vendu à plus de 16 000 exemplaires en l’espace de deux ans, alertant ainsi le collectif sur le fort potentiel de leur petite entreprise.

« Fynn Jamal a fait basculer la poésie dans une autre dimension. C’est une artiste culte et une écrivain prolifique, et ses lectures sont prises d’assaut comme des concerts de rock », raconte l’éditeur et auteur Syafiq Faliq, dont le nom de plume est Sefa. Son propre recueil Melankolia Bisu, le premier, s’est vendu à plus de 1000 exemplaires en un mois.

Rabak Lit 2

@Tan Lee Kuen

Rabak Lit impose un processus de sélection stricte à ses auteurs et poètes, n’ayant publié que huit livres sur les quatre dernières années. En 2015, le collectif a décidé de passer la vitesse supérieure en prévoyant de publier six livres. Parmi eux se trouvent les écrits de Takahara Suiko, connue pour son groupe The Venopian Solitude, mais aussi ceux du blogueur Anwar Hadi, de Fathullah Luqman du groupe Infectious Maggots, et un carnet de voyage de Jayzuan.

« Le genre de littérature publiée par les éditeurs alternatifs varient sensiblement des histoires d’amour habituelles. Les jeunes se reconnaissent davantage dans une littérature de contre-culture et dans des écrivains dont les textes abordent des thèmes comme la dépression, la solitude et l’aliénation. Ils se mettent à nu devant leurs lecteurs, et ceux-ci adhèrent complètement à cette démarche d’honnêteté », dit Jayzuan.

Alors que la scène littéraire malaisienne de langue malaise se fait chaque jour plus dynamique, celle de langue anglaise bénéficie depuis longtemps de l’investissement de Silverfish Books. Encore aujourd’hui, Silverfish Books reste un éditeur dominant et influent du secteur.

Raman Krishnan

@Tan Lee Kuen

Raman Krishnan, l’homme derrière la maison, a fait de sa passion pour les livres son gagne-pain. Ingénieur de formation, il a ouvert la librairie Silverfish en 1999 afin d’offrir aux lecteurs malaisiens une sélection d’ouvrages internationaux triés sur le volet. C’est une demande d’un client sur les livres écrits par des Malaisiens, et l’aveu embarrassant de leur faible présence, qui l’a incité à lancer une activité d’édition en 2002.

Silverfish est avant tout l’affaire d’un seul homme, et Raman porte plusieurs casquettes. Il découvre, corrige, édite, promeut et vend tous les livres qu’il publie et parfois même en conçoit les couvertures. Le processus est parfois très long, la sélection des auteurs très sévère.

« C’est une question d’attitude. Veut-on mettre l’accent sur la quantité ou la qualité ? Avec Silverfish, on a toujours opté pour la qualité, toujours voulu monter dans les aigus », explique Raman. « En tant qu’auteur débutant, vous vous devez d’avoir foi en vos écrits. Vous vous devez de viser haut. En tant qu’éditeur, ce que je recherche avant tout est une bonne histoire. Je peux vous aider à polir la langue. On a parfois tendance à donner trop d’importance à la langue, au détriment de l’intrigue. »

Silverfish New Writings

@Tan Lee Kuen

Silverfish est particulièrement connu pour sa collection d’anthologies Silverfish New Writings, rassemblant des nouvelles de Malaisie et de Singapour principalement, mais son best-seller absolu reste le livre de Dina Zaman, I am Muslim, qui s’est écoulé à 15 000 exemplaires.

L’année dernière, Silverfish Books a publié cinq livres, dont The Sum of Our Follies de Shih-Li Kow. Kow est une véritable success story pour l’éditeur. Repérée lors d’un atelier d’écriture créative organisé par Silverfish, son recueil de nouvelles Ripples and Other Short Stories a été nominé pour le Prix International Frank O’Connor de la Nouvelle en 2009. Ce programme d’écriture a aussi révélé d’autres perles littéraires avec lesquelles Raman travaille beaucoup aujourd’hui, à l’image de Chua Kok Yee ou Rumaizah Abu Bakar. Le troisième livre de Rumaizah chez Silverfish Books est un recueil d’anecdotes de voyage sur ses séjours en Turquie, en Arabie Saoudite et en Indonésie, intitulé A Call to Travel : Muslim Odysseys. Il aura mis quatre ans à aboutir et vient tout juste de paraître en ce début d’année.

Kenny Leck

@Tan Lee Kuen

Pendant ce  temps-là, à Singapour, Kenny Leck gère avec succès la librairie BooksActually, située dans le quartier de Tiong Bahru, juste à la périphérie du centre-ville. Il a lancé Math Paper Press en 2011 dans le but de publier, promouvoir et soutenir les jeunes écrivains et poètes singapouriens, dont certains sont aujourd’hui des stars de la scène litteraire locale.

« C’est un vrai défi mais c’est gratifiant, surtout quand un tirage est épuisé. Bien qu’on entende dire que les livres singapouriens sont durs à vendre, qui plus est quand il s’agit de poésie, on se débrouille plutôt bien en termes de ventes », explique Leck. Plusieurs titres comme The Invisible Manuscript du dramaturge Alfian Sa’at, Love is an Empty Barstool de Pooja Nansi et Objects of Affection de Krishna Udayasankar sont déjà écoulés, avec une nouvelle impression lancée pour certains. Chaque tirage se monte à 1000 exemplaires.

BooksActually

@Tan Lee Kuen

« Cela fait plaisir de savoir que la littérature singapourienne peut se vendre », se réjouit Leck, qui a déjà publié plus de 90 ouvrages sous la bannière Math Paper Press, dont In the Company of Heroes de Verena Tay et le recueil de poèmes Onkalo de la poète malaisienne Bernice Chauly. Il travaille en étroite collaboration avec le duo de designers Sarah and Schooling pour la présentation de ses opus fins et élégants.

Les amoureux de littérature peuvent eux aussi se réjouir, car les « indés » comptent bien continuer d’expérimenter, de détecter et de publier des talents méconnus, dans des genres allant de la fiction à la non-fiction, en passant par la poésie et d’autres genres encore. Ils sont parvenus à faire de la lecture quelque chose de cool. « En tant qu’éditeurs alternatifs, nous contribuons sans doute à la valorisation de la littérature », dit Jayzuan.

Source : Going Places.

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