Geneviève Fauconnier, de Charente en Malaisie (1/2)

par Serge Jardin

Première partie : la sœur

Geneviève et Henri Fauconnier.

C’est la Belle Époque ! Nous sommes avant la Grande Guerre. Voilà quatre ans qu’Henri Fauconnier et ses amis sont arrivés en Malaisie pour faire fortune. Ils sont planteurs. C’est l’époque bénie où les cours du caoutchouc remontent. Posth remplace sa moto par une automobile. Joe de Burlet lui emboite le pas en achetant une Darracq et Henri Fauconnier achètera bientôt une Brasier. Henri dessine les plans d’un nouveau bungalow,le second,dont la construction commence le 6 septembre 1909 sur une colline près de la rivière, entourée d’arbres fruitiers et de fleurs. Au-delà de la rivière, 340 hectares d’arbres bien alignés, et au-delà, la jungle immense et profonde. Il rêve de se construire un petit ermitage en bordure de jungle, cela restera un rêve et ce sera la « Maison des Palmes » de Rolain dans Malaisie. Il a acheté un piano qu’il installe temporairement à Kempsey, le bungalow de Murray qui dirige Sungei Rambai, la plantation voisine achetée par Adrien Hallet, Murray est assisté de De Burlet et de Ruelle. Kempsey, le bungalow, et surtout son tennis sont le rendez-vous de nos planteurs après le travail.

C’est le bon moment pour inviter ses sœurs en vacances. Henri essaie également de convaincre sa mère de venir passer l’hiver en Malaisie. Il use de la fibre religieuse, la mère d’un planteur ami qui vit non loin est catholique et il promet à sa mère qu’ils iront à la messe de minuit chez les Pères à Kuala Lumpur. En juillet 1909, il invite sa famille à venir en Malaisie de janvier à mars 1910 : c’est la meilleure saison, la mousson d’hiver est relativement moins humide et plus fraîche sur la côte ouest. Il viendrait les accueillir à Colombo, puis ils débarqueraient à Penang pour finalement se rendre à Rantau Panjang au bord de la rivière Selangor. Il donne des conseils pour l’équipement, le bateau… Elles arriveraient juste à temps pour mettre la dernière main au bungalow en construction. Au programme : excursions, tennis et rigolades…

Fin Octobre 1909, Henri Fauconnier écrit une lettre à ses sœurs à propos de leur premier voyage en Malaisie : « Quant au programme des réjouissances, il n’est pas encore bien établi, mais nous avons des intentions.

1 – Pendant janvier il y a le festival annuel de Pungul : sacrifice de chèvres, cérémonie religieuse, tam-tam, danses et théâtre Tamil.

2 – Au début de février, incendie de 150 acres à Rantau Panjang, pique-nique sur le haut d’une colline pendant l’embrasement.

3 – Dîner chinois à Kuala Lumpur, plats chinois, thé chinois, orchestre chinois, petites baguettes pour manger les ailerons de requins et le vermicelle.

4 – Excursion en pirogue sur la rivière Selangor, départ de Rantau Panjang et arrivée à Kempsey, tennis et le thé, retour en automobile au clair de lune.

5 – Excursions en automobile au défilé du « Gap », aux grottes « Batu Caves », aux bains de mer de Morib, – et en bateau à Pulau Angsa, l’île aux oies, où on mange des huîtres naines.

6 – Grande fête au nouveau bungalow de Rantau, concert, Revue de fin d’année par Henri Fauconnier et Joe de Burlet (elle n’est pas composée, mais ça viendra peut-être).

Enfin je ne parle pas du plaisir de chaque jour, de tout ce qu’il y a à voir, de tout ce qu’il y a à revoir (each other). »

Micheline à bord du Nibong.

 

La préparation au voyage

Pour répondre aux questions de ses sœurs, il revient plus précisément sur l’équipement : « Toilettes d’été simples, le blanc ou tout au moins le clair de préférence, chapeaux ordinaires, mais doublés à l’intérieur de quelque étoffe opaque ou toile cirée. En plus il vous faudra acheter à Port-Saïd des chapeaux en liège ou en moelle de sureau doublés de vert, qui ne sont pas beaux, mais seront utiles à certaines heures du jour. Chaussures quelconques, quelques espadrilles seront appréciées at home, surtout si elles sont montantes, à cause des moustiques le soir. Dans tous les cas, ne pas s’encombrer de bagages. On trouve tout ce qu’on veut ici en cas d’oubli. »

Jacques Audoin, le compagnon d’aventure d’Henri Fauconnier est de bon conseil. Il faut réserver le plus tôt possible pour choisir son bateau, les plus récents sont les plus confortables et puis on a plus de chances d’obtenir une cabine sur le pont. Il faut de préférence choisir une cabine bâbord, si on veut éviter le soleil de l’après-midi. Il n’est pas nécessaire de s’embarrasser de vêtements chauds, deux jours après le départ, il ne fait déjà plus froid.

C’est à Marseille que se règlent les derniers préparatifs, changer ses devises, et faire les derniers achats. Il faut acheter un fauteuil pliant pour la traversée et surtout acheter l’indispensable chapeau. Les avis sont partagés. Les uns disent qu’il faut attendre Port-Saïd, les autres disent que c’est à Marseille qu’il faut acheter les casques. C’est la meilleure protection contre le soleil équatorial. C’est un casque très léger, recouvert de toile. Le plus souvent il est en liège. Les meilleurs casques sont faits de moelle de sureau. Symbole de l’ère coloniale, il ne survivra pas à la décolonisation.

Marseille est le passage obligatoire vers l’Orient. C’est le plus souvent en train qu’on y arrive. La gare Saint-Charles est un butoir, le bassin de La Joliette, un plongeoir. Ah, Marseille ! Ses racines commerciales s’enfoncent dans l’Antiquité grecque la plus ancienne et elle fut la ville de tous les plaisirs à l’époque romaine. Au début du XXème siècle c’est la seconde ville de France. Elle compte un demi-million d’habitants, dont près d’un cinquième sont italiens. On y pratique tous les cultes et toutes les langues y sont parlées. À l’époque coloniale, elle devient la véranda de l’Afrique et, plus tard, avec l’ouverture du canal de Suez, le point de départ vers l’extrême de l’Orient. C’est alors le plus grand port de France et le huitième du monde (un siècle plus tard, elle ne figure plus dans le Top 10, pas même dans le Top 50).

Il est fort probable que les dames Fauconnier ont acheté le seul guide de voyage disponible en français à cette époque, dans une des nombreuses librairies de Marseille, la bible du passager français vers l’Extrême-Orient, à savoir De Marseille à Canton, Guide du voyageur écrit par l’explorateur Claudius Madrolle en 1902 pour le Comité Asie-France. Il s’agit en effet d’accompagner le touriste vers l’Exposition française et internationale d’Indochine de Hanoï qui se tient cette année-là. Si le livre est largement consacré à l’Indochine, il décrit toutes les escales et les excursions possibles de Marseille à Hanoï et au-delà, jusqu’à Canton.

Les hôtels ne manquent pas à Marseille. Le voyageur pourra en profiter pour visiter une ville aux promenades agréables, dont la plus belle est celle du Prado. Les musées sont nombreux, mais c’est au Musée des Beaux-Arts, situé dans le Palais de Longchamp, que le voyageur se prendra à rêver devant les deux peintures monumentales de Puvis de Chavanne, « Marseille, colonie grecque » et « Marseille, porte de l’Orient ».

Puvis de Chavanne : Marseille, porte de l’Orient

Une demi-douzaine de compagnies européennes font escale à Marseille en route pour Singapour au début du siècle. Après 1904, avec l’arrêt de la Compagnie Nationale de Navigation, il ne reste plus que deux compagnies françaises à assurer la ligne. Les Messageries Maritimes ont un départ tous les quinze jours et les Chargeurs Réunis, un départ mensuel. Si l’on en croit nos planteurs, les Chargeurs Réunis emportent tous les suffrages. Il n’y a qu’une classe et les repas se prennent avec les officiers. La compagnie concurrente anglaise la plus célèbre est la Peninsular and Oriental Steam Navigation Company, appelée familièrement la P&O qui fait escale à Marseille tous les quinze jours. Tous les quinze jours également la traversée est assurée par la British India et par la Norddeutscher Lloyd. Les compagnies françaises préfèrent l’escale de Djibouti à celle d’Aden, et ne s’arrêtent pas comme les navires anglais à Penang. C’est pour ça que la traversée dure vingt-deux jours au lieu de vingt-trois.

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