Nous reproduisons ci-dessous un bref article que nous avons écrit pour La Gazette, le magazine de l’Association francophone de Malaisie, et publié dans son numéro 114 (hiver 2020). Son sujet : les littératures de l’imaginaire. La scène locale est vaste, mais vous trouverez ici quelques premières pistes de lecture pour vous immerger en douceur, en traduction française, mais aussi (et surtout) en VO (anglais, principalement). En bonus : des liens vers certains de ces auteurs et leurs histoires ou ouvrages disponibles en ligne.

Unity Macroverse
On ne le sait que trop à force de se l’entendre dire : notre époque, faite d’instabilité et d’un rapport au temps chamboulé, est propice aux questionnements tous azimuts. La littérature, en cela qu’elle démarre toujours par une page blanche, offre un espace de liberté formidable à quiconque souhaite s’échapper du présent, fantasmer l’avenir ou réécrire le passé. Tout particulièrement, les littératures de l’imaginaire rencontrent aujourd’hui de par le monde un succès indéniable. La Malaisie ne fait pas exception.
Qu’entend-on par “littératures de l’imaginaire” ? Par définition, celles-ci invitent le lecteur à se plonger dans un contexte imaginé et auquel aura été injecté un élément fantastique. C’est la nature de cet élément fantastique qui nous permet de classer ces littératures selon trois grands genres ne s’excluant pas les uns des autres et comptant moult sous-genres : technologie et futurisme nous dirige vers la science-fiction, magie et monstres plutôt vers la fantasy, tandis que zombies et hémoglobine sont les marques de l’horreur.
L’offre pléthorique en fantasy et horreur dans les librairies de KL pourrait laisser penser que les lecteurs malaisiens aiment 1) fuir le monde réel, et 2) jouer à se faire peur. De toute évidence, la relation quasi charnelle qu’ils entretiennent avec le surnaturel et le paranormal influe sur les histoires qu’ils aiment lire et écrire. On ne compte plus les ouvrages de fiction – en anglais ou en malais, illustrés ou non – sur des légendes remises au goût du jour, sur le panthéon des fantômes propres à Nusantara, mélangés à ceux venus de Chine ou d’Occident, etc. À croire que les Malaisiens, tels des esprits affamés, ont un appétit insatiable pour ce genre d’intrigues !

Spirits Abroad, de Zen Cho
Parmi les écrivains anglophones, la plus connue du moment est Zen Cho, dont le succès aussi bien en Malaisie qu’à l’étranger mérite d’être salué. Résidant au Royaume-Uni, cette jeune auteure de fantasy historique est déjà lauréate de prix littéraires prestigieux, comme le Prix Hugo 2019 de la meilleure nouvelle. Elle a entre autres signé le recueil de nouvelles Spirits Abroad et édité l’excellente anthologie Cyberpunk: Malaysia. On mentionnera aussi Yangsze Choo, dont le roman The Ghost Bride, situé dans la Malacca de la fin du XIXe siècle, vient d’être adapté en série par Netflix !
Côté science-fiction, on compte une myriade de fans, mais déjà bien moins d’auteurs publiés. Peut-être la rigueur scientifique intrinsèque à l’esprit SF – sans oublier l’image encore très masculine et occidentalo-centrée du genre – rebute-t-elle pas mal d’écrivains en herbe. Qui plus est, les opportunités pour un auteur de science-fiction d’être publié en Malaisie ne sont pas légion, les maisons se consacrant au genre n’étant pas nombreuses, ni très actives. Néanmoins, la richesse des thèmes abordés – disparition de l’islam, mise sous dôme de KL, trafic de maids robotisées… – montre que les sources d’inspiration ne manquent pas.
En malais, les éditeurs UTM-Press et Utusan se sont bâtis une certaine réputation avec la remise d’un prix bisannuel récompensant les meilleurs manuscrits reçus. Les auteurs anglophones sont quant à eux condamnés à tenter leur chance ailleurs : c’est le cas notamment d’Eeleen Lee, nouvelliste bien connue en Malaisie mais dont le premier roman, un space opera situé à des années lumière de la Terre, a paru chez un éditeur anglais. Localement, une initiative existe pour faire vivre le genre SF en langue anglaise : la communauté Unity Macroverse, basée à KL, invite ses membres à écrire leurs propres histoires, les illustre et décline ensuite ses publications en figurines et autres jeux de rôle sur table.

1515, de Faisal Tehrani
Si vous lisez en français, il n’y a finalement qu’un seul roman malaisien traduit qui appartiendrait aux littératures de l’imaginaire : 1515, de Faisal Tehrani. Un roman qui se veut être une uchronie, c’est-à-dire une réécriture de l’Histoire à partir de la modification du passé. En l’occurrence, Faisal Tehrani décide de gommer l’humiliation de la prise du sultanat de Malacca par Albuquerque en 1511 et d’inventer ce qui aurait pu advenir. Comme l’écrit la traductrice Monique Zaini-Lajoubert en quatrième de couverture : “L’auteur imagine ici une histoire bien différente : non seulement les Portugais n’ont pas réussi à s’emparer de la ville, mais quelques années plus tard (1515), une formidable flotte des différents États malais coalisés fait voile vers l’Occident, commandée par une jeune princesse, et remonte le Tage…” Tout un programme !
Zen Cho
Avocate de profession, elle est l’auteure malaisienne de fantasy la plus connue, lauréate notamment du Prix Hugo de la meilleure nouvelle en 2019 pour « If At First You Don’t Succeed, Try, Try Again » (lecture gratuite). Sa nouvelles « Quatre Générations de Chang’e » est aussi à découvrir en français dans le numéro 3 de la revue Jentayu, « Dieux et Démons« .
Faisal Tehrani
Un auteur éclectique et prolifique, qui jongle avec les genres et les thèmes. Côté littératures de l’imaginaire, en plus de 1515, il a aussi publié 1511H [KOMBAT], un roman de science-fiction pur jus se déroulant en 2087 et nous plongeant dans une guerre cybernétique à la sauce messianique. Prix Hadiah Sastera Kumpulan Utusan en 2003.
Cassandra Khaw
La meilleure représentante malaisienne dans le domaine de l’horreur. Une vraie plume, une source intarissable de traditions occultes d’Asie du Sud-est, avec un sens de l’humour désopilant… mais il faut aimer l’hémoglobine, les membres désarticulés et les os qui craquent. Sa série des Rupert Wong (anglais uniquement) est jouissive.
Fadzlishah Johanabas
Écrivant aussi bien en anglais qu’en malais, ce neurochirurgien à l’Hôpital de Kuala Lumpur est l’un des auteurs de science-fiction les plus actifs de la scène malaisienne. Un certain nombre de ses nouvelles sont disponibles en ligne. On peut notamment recommander « Kuda Kepang » et « Visions » sur le site de la revue Expanded Horizons (lecture gratuite).
Eeleen Lee
Une valeur sûre de la science-fiction malaisienne et internationale, avec de nombreuses nouvelles à son actif, publiées dans quelques-unes des plus belles revues du milieu. Mais aussi un tout premier roman, Liquid Crystal Nightingale, qui vient de sortir chez Rebellion Publishing, l’un des éditeurs britanniques de SF les plus réputés.
Zedeck Siew
À la fois écrivain et concepteur de jeux de rôles sur table, Zedeck est aussi féru de contes animaliers, ce qui lui a inspiré un excellent recueil d’histoires courtes sur les animaux, réels ou légendaires, propres à l’archipel nousantarien : Creatures of Near Kingdoms, dont des extraits illustrés par sa compagne Sharon Chin sont à découvrir en français dans le numéro 8 de la revue Jentayu, « Animal« .
Yangsze Choo
Avec Zen Cho, en voici une qui s’est fait un nom ces dernières années, d’abord avec son premier roman, The Ghost Bride (récemment porté à l’écran par Netflix), puis son deuxième et tout nouveau roman, The Night Tiger. Un univers magique, imprégné de traditions chinoises et situé dans la Malaya sous domination britannique.