Le voyage au Sarawak avec Edmond Cotteau

Toujours en compagnie de notre guide Serge Jardin, nous prolongeons notre parcours dans l’espace et le temps, tout autour du Sarawak. Aujourd’hui, nous vous invitons à marcher dans les pas de deux Français à Bornéo, et tout particulièrement dans ceux du journaliste et touriste Edmond Cotteau, dont la description d’une maison longue Dayak est peut-être la première jamais faite par un voyageur français…

Les Français à Bornéo

Docteur en médecine et en anthropologie, Joseph Montano a été nommé chef d’une mission scientifique par le ministère français de l’Instruction publique pour étudier les tribus des Philippines. Est-il le premier Français à nous raconter Bornéo ? Entre 1879 et 1881, Joseph Montano, et son collègue le Docteur Paul Rey ont visité Malacca, la partie sud de l’île de Luzon, l’archipel de Sulu, le nord-est de l’île de Bornéo, et seul, Montano est allé sur l’île de Mindanao.

Ils arrivèrent de Soulou (Jolo) le 20 janvier 1880 et ancrèrent à Elok Pura ou « la belle ville » (plus tard Sandakan), qui devint la capitale de la British North Borneo Company (aujourd’hui Sabah) en 1884. Le 6 février, le Dr Montano partit seul pour la Sagaliud (Seguliud), rivière qui débouche dans la baie de Sandakan. Son objectif était de rencontrer les Buled Upih (Bulud Upi) estimés à environ un millier de personnes. Deux jours plus tard, il atteint un premier village composé d’une dizaine de huttes. Montano a noté qu’ils pratiquaient l’islam et en étudiant le vocabulaire, il a trouvé que leur dialecte était proche du tagalog.

Il a remonté la rivière, où il a rencontré un rhinocéros, il n’a pas réussi à le tuer et il a rebroussé chemin lorsque la rivière n’était plus navigable. De retour à Elok Pura, Montano souffrait de morsures de sangsues infectées. En attendant un navire pour Sulu, les deux docteurs ont tué et empaillé un crocodile. Le 3 mars, ils montent à bord du Kerguelen, un croiseur français.

Edmond Cotteau, le journaliste

Le second auteur français est arrivé quatre ans plus tard. C’est Edmond Cotteau. Grand voyageur, Cotteau s’est lancé en 1884 dans un tour du monde dont le Sarawak a pratiquement été la première étape. 

Né en Bourgogne en 1833, il était employé de l’administration fiscale. Soutenu financièrement par son grand-père, il a débuté par un voyage en Algérie en 1851. Plus tard, devenu journaliste, la vente de ses articles et de ses photos lui permirent de continuer à assouvir sa passion du voyage.

« J’ai voyagé à travers l’Europe et l’Asie, visité une partie de l’Afrique et les deux Amériques ; mais je n’avais pas encore parcouru le monde entier et je devais encore connaître la cinquième partie du monde, l’Océanie. » Cette fois, il reçut une mission gratuite du ministre de l’Instruction publique. Il quitta Toulon le 20 mars 1884, à bord du Nive, un navire de transport appartenant à l’Etat. Il partageait une cabine avec six couchettes occupées par des fonctionnaires en route vers la Cochinchine et le Tonkin. Le 20 avril, « le phare de Malacca clignote à l’horizon » et après trente-deux jours, le navire accosta à Singapour.

Un touriste à Singapour

En attendant deux amis avec qui ils devaient aller explorer le Krakatau, volcan situé dans le détroit de la Sonde, Edmond Cotteau avait vingt jours à passer à Singapour. Après s’être installé à l’hôtel Europe (dont il se plaint de la nourriture), il a visité les endroits qu’un touriste doit voir.

Il s’est rendu jusqu’à Johor, en traversant l’île du sud au nord, et le détroit de Tebrau. Il a visité le palais en l’absence du Maharajah, a déjeuné d’un curry dans un petit hôtel et dans l’après-midi, il a visité une grande scierie à vapeur.

Il s’est rendu à Bukit Timah, au centre de l’île, où il a parcouru le domaine de Léopold Chasseriau, planté pour moitié avec du manioc et pour moitié avec du café du Libéria.

L’incendie d’un village malais détruisant une cinquantaine de maisons a fourni un « superbe spectacle ! » Cotteau a visité une conserverie d’ananas mise en place par un ancien marin corse des Messageries maritimes (Joseph Bastiani). Il est allé voir des représentations théâtrales chinoise, malaise et parsie. Après une semaine, Edmond Cotteau a vu toutes les attractions que Singapour offrait à un touriste, sans oublier une promenade dans le jardin botanique et dans les jardins de la maison de Whampoa. Il a décidé alors de se rendre au Sarawak.

Visite de Kuching

Le 1er mai au matin, le petit bateau à vapeur entra dans la rivière Sarawak, remontant la rivière sur une cinquantaine de kilomètres avant d’atteindre Kuching. Les rives étaient bordées de palmiers nipa (Nypa fruticans) sans tronc. L’espace d’un instant, Edmond Cotteau a cru apercevoir un grand singe rouge, l’orang-outan.

Il s’est installé dans le seul hôtel pour Européens de la ville qui se trouvait être aussi le Club. Il y a rencontré Monsieur Poncelet qui était le bibliothécaire du Club et l’organiste de l’Église anglicane. Belge francophone, résidant dans l’archipel malais depuis trente-cinq ans, il a confié n’avoir jamais rencontré de touriste français à Bornéo. Il proposa à Edmond Cotteau de lui faire visiter Kuching.

Ils ont vu Chinatown, récemment ravagé par un incendie, et où une pagode était en construction. Dans le centre-ville, Monsieur Poncelet a présenté les bureaux du gouvernement, tous blanchis à la chaux, la Poste, la Cour de justice, etc. Sur le quai se trouvait une prison fortifiée, surmontée d’une tour crénelée. Les maisons malaises étaient construites sur pilotis, au milieu de jardins, ombragées sous des cocotiers.

Ils ont traversé la rivière « sur un sampan peint de couleurs vives, extrêmement propre, mais instable ; donc comme il n’y a pas de siège, je dois me glisser à l’arrière sous un petit toit de bambou et m’allonger, immobile. » L’Astana, la résidence du Rajah, une « belle et vaste construction » était en réparation. Les jardins étaient très bien entretenus. Ils visitèrent enfin la forteresse (Fort Margherita), depuis la tour de laquelle, la vue était magnifique.

Excursion à Bau

Edmond Cotteau a remonté la rivière Sarawak dans un petit bateau à vapeur et finalement après trois heures de navigation, il est arrivé à Busau (Bau). Il a visité l’usine d’antimoine appartenant à la Borneo Trading Company et le village chinois voisin. Puis il est monté à bord d’un petit train, utilisé pour l’exploitation minière. Il roulait sur des rails taillés dans du bois de fer (Eusideroxylon), pendant environ six kilomètres, jusqu’à Paku, où il visita des mines d’or abandonnées et rencontra des chercheurs d’or chinois. Charles A. Bampfylde, le résident lui a offert l’hospitalité. Ils passèrent la soirée « allongés sur l’une de ces chaises en rotin dont les longs bras servent de support aux jambes fatiguées » sur la véranda, tout en profitant du spectacle des lucioles.

Cotteau a également visité une grotte où les Dayaks récoltaient « les fameux nids d’oiseaux, destinés aux riches gourmets de Chine ». Des hommes expérimentés récoltaient les nids de salanganes (Aerodramus fuciphagus) quatre fois par an. La première qualité des nids, blancs et purs allaient de 1,400 $ à 2,000 $ le picul (de 112 à 160 francs le kilo) tandis que la dernière qualité, sale de plumes et autres impuretés, seulement 6 à 8 francs.

Les premieres têtes coupées

Le dernier jour, Edmond Cotteau se rendit dans un village Dayak, à deux kilomètres seulement, de Kuching, mais à deux heures de marche. S’agit-il de la première description d’une maison longue par un Français ? « Une maison individuelle, de plain-pied, bâtie sur pilotis, très longue et divisée en autant de compartiments qu’il y a de familles. Ici quatorze, cent habitants. Sur la véranda commune qui remplace la rue de nos villages ouvrent les portes de chaque ménage. Au centre se trouve la résidence du chef. Ce dernier me fait apporter un fauteuil… les enfants sont complètement nus… au-dessus de la cheminée devant laquelle je suis assis et qui occupe, en face de la porte du chef, le centre de ce que j’appellerai la place publique du village, une dizaine de têtes desséchées, noircies par la fumée, sont suspendues dans un panier en bambou !… Sur la plupart des portes sont affichés des journaux illustrés : un curieux mélange de civilisation et de barbarie. »

Montano JosephVoyage aux Philippines et en Malaisie, Paris, Librairie Hachette & Cie, 1886.

Cotteau EdmondEn Océanie, voyage autour du monde en 365 jours (1884-1885), Paris, Librairie Hachette & Cie, 1888.

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