Hans Overbeck, commerçant hanséatique devenu érudit en littératures malaise et javanaise

Nous accueillons aujourd’hui un fidèle de Lettres de Malaisie et un membre influent du projet Pantouns : Jean-Claude Trutt, animateur du site Voyage autour de ma Bibliothèque. Il nous parle de Hans Overbeck, le premier traducteur en langue européenne du Hikayat Hang Tuah, l’épopée du héros mythique du royaume de Malacca. A noter que la première partie de cette étude est parue sous le titre : Pages retrouvées : La traduction de Hikayat Hang Tuah par Hans Overbeck dans la revue Le Banian (juin 2012) de l’Association franco-indonésienne Pasar Malam.

Hans OverbeckJe trouve ce personnage tout à fait fascinant. Un commerçant hanséatique qui se passionne pour la culture et l’ancienne littérature malaises. A un point tel qu’il en devient érudit. Hans Overbeck est né à Brême en 1882. A l’âge de 22 ans il part pour l’Asie du Sud-Est, s’installe d’abord à Singapour où il travaille pour une Maison d’Export de Hambourg, couvre ce que l’on appelait à l’époque l’Insulinde et les Philippines, court les marchés, achète les vieux manuscrits, fréquente musées et archives, apprend le malais et le javanais et puis… ses études sont interrompues une première fois par la guerre de 14 : il est interné par les Anglais à Singapour puis envoyé dans un camp dans le New South Wales au fin fond de l’Australie.

Après la guerre il travaille pour une autre firme allemande installée à Singapour mais lui-même réside aux Indes néerlandaises, à Batavia, Semarang, Surabaya, puis prend sa retraite en 1932 à Jogjakarta, tout près du Kraton, le Palais du Sultan de Java. Pendant tout ce temps il continue ses études (il va même devenir un expert dans un autre domaine : les insectes, une passion qu’il a prise dans son camp australien, et va correspondre régulièrement avec le Directeur du Musée zoologique de Dresde), entreprend la traduction en allemand de nombreuses œuvres de la littérature malaise (chroniques, épopées, contes populaires, les contes du Kancil, le cerf-nain, espèce de Roman du Renart malais), puis contribue aux publications littéraires de l’époque par un nombre considérable d’articles (90 dit-on) écrits en anglais ou néerlandais et commence à collectionner non seulement des pantouns de diverses origines mais aussi des comptines et chansons enfantines qu’il va publier en néerlandais. Mais le sort va le frapper une deuxième fois : les Nazis envahissent la Hollande et les Hollandais emprisonnent l’Allemand Overbeck, puis l’envoient dans un camp en Inde chez les Anglais. Et le bateau qui l’emmène, attaqué par les avions japonais, sombre en janvier 1942, avec presque tous ses prisonniers allemands, au large de la côte occidentale de Sumatra.

Malaiische Weisheit und GeschichteMoi j’ai découvert le nom de Hans Overbeck il y a plus de vingt ans déjà : en fouillant dans les rayons d’un libraire antiquaire de Trèves je trouve deux tomes aux couvertures merveilleusement décorées de motifs de batik et intitulés : Malaiische Weisheit und Geschichte (Sagesse et Histoire malaises) et Malaiische Erzählungen (Histoires malaises). Le premier comprenait une Introduction à la Littérature malaise et la Chronique des Malais (Sejarah Malayu) ainsi que la Couronne de tous les Princes (Makota Segala Raja) et le deuxième, entre autres, les Contes du Cerf-nain. La première phrase de son Introduction à la Littérature malaise est devenue fameuse : la littérature malaise est morte. En disant cela, dit le Professeur Ulrich Kratz, Overbeck était parfaitement conscient du renouveau en cours dans ce domaine à son époque mais était inquiet pour ce qui devait être la base de ce renouveau, inquiet de l’affaiblissement de la culture et du mode de vie malais traditionnels auquel il assistait dans la vie de tous les jours (voir E. U. Kratz : The Malay Studies of Hans Overbeck, Indonesia Circle, School of Oriental and African Sudies, Londres, 1979). Ses deux livres de traduction avaient été publiés en 1925/27 par l’éditeur Eugen Diederichs à Iéna. L’éditeur annonçait en même temps un troisième volume consacré à la poésie populaire dont le Ramayana indonésien (Seri Rama) et les pantouns.

Quand je me suis intéressé plus tard aux pantouns après avoir lu les ouvrages que François-René Daillie et Georges Voisset y ont consacrés j’ai longtemps cherché ce volume mythique. Sans succès. Aujourd’hui je sais qu’il n’a jamais été publié. Pourquoi ? Mystère. Pourtant Paul Hambruch qui introduit au nom de l’éditeur le premier des tomes en date du 12 juillet 1927 parle de ce troisième tome comme s’il était déjà prêt à être publié (bizarrement le tome 2 a été publié en premier en 1925, le 1er tome, d’abord annoncé pour le printemps 1926, a paru en 1927 et ce fameux 3ème tome, annoncé d’abord pour l’automne 1926, puis pour 1928, n’a donc jamais paru). Or Hans Overbeck avait publié en 1922 déjà un texte sur le pantoun qui fait encore autorité aujourd’hui dans le Journal of the Straits Branch of the Royal Asiatic Society (The Malay Pantun). J’émets une hypothèse – elle vaut ce qu’elle vaut – en me demandant si Overbeck n’a pas voulu prendre ses distances avec l’éditeur Eugen Diederichs. Le journaliste et écrivain allemand Rüdiger Siebert, spécialiste de l’Indonésie, qui a collecté les biographies de dix Allemands qui ont laissé leurs traces dans ce pays, dont celle de Hans Overbeck, écrit que celui-ci a vite pris ses distances avec le régime nazi (voir Rüdiger Siebert : Deutsche Spuren in Indonesien, édit. Horlemann, Bad Honnef, 2002).

Sang Kancil et HarimauOr Eugen Diederichs a été un des piliers de ce que l’on a appelé le mouvement völkisch et est passé tout naturellement de ce courant de pensée au nazisme. On commence par s’enthousiasmer pour « l’âme du peuple », puis sur ses liens avec la terre, le sang, la race, et l’exclusion et l’antisémitisme ne sont pas loin. Quelqu’un a dit : le mouvement völkisch était la transition tragique entre le romantisme allemand et le national-socialisme. Hans Overbeck était d’ailleurs lui-même un peu imprégné de cette idée que les Romantiques allemands avaient mise en avant : que l’âme du peuple était enfouie dans ces contes, ces légendes et ces anciennes chansons populaires qu’ils allaient collecter au cours du XIXème siècle. C’est ainsi que Overbeck, après avoir traduit en allemand les grands récits épiques malais, va se consacrer aux contes populaires (comme le Kancil), à la poésie populaire (comme le pantoun) et aux comptines et chansons enfantines. Et quand il lance son fameux cri : la littérature malaise est morte ! il faut d’abord le prendre pour un cri d’alarme car dans son esprit, avec la disparition (ou disons l’affaiblissement) de la culture traditionnelle et de la littérature qui la représentait, c’était « l’âme du peuple » qui risquait de mourir !

Le Hikayat Hang Tuah

Ce n’est que récemment que j’ai découvert que Overbeck avait déjà publié quelques années auparavant, en 1922, une très belle traduction, dans un style très poétique, du Hikayat Hang Tuah, l’histoire du preux mythique du Royaume de Malacca, Hang Tuah. Traduction entreprise pendant ses cinq années d’emprisonnement à Singapour et en Australie qui n’ont donc pas été entièrement perdues. Voir : Hikayat Hang Tuah, die Geschichte von Hang Tuah, von dem Malayischen übersetzt von H. Overbeck, édit. Georg Müller, Munich, 1922 (deux tomes, 650 pages). « La seule traduction complète qui existe du plus célèbre des hikayat malais », dit Henri Chambert-Loir dans la Bibliographie de la littérature malaise en traduction qu’il publie en 1975 (Bulletin de l’Ecole française d’Extrême-Orient). Ce n’est que récemment que ce hikayat a été traduit d’abord en russe (1984), puis, enfin, en anglais (voir: The Epic of Hang Tuah, traduction Muhammad Haji Salleh, édit. Institut Terjemahan Negara Malaysia Berhad, Kuala Lumpur, 2010).

The Epic of Hang TuahOr voilà ce que dit celui qui a entrepris cette dernière traduction, Muhammad Haji Salleh, dans un article paru en novembre 2006 dans la Revue Indonesia and the Malay World : Si, parmi toutes les grandes œuvres littéraires malaises, la Couronne des Princes et la Chronique des Malais sont celles qui témoignent le mieux de l’histoire des Malais de la péninsule, le Hikayat Hang Tuah, lui, démontre quelles étaient leurs valeurs chevaleresques. Les Malais, dit-il, considèrent cette œuvre comme essentielle. Elle est l’une des plus longues et des plus riches sur le plan de l’imagination. Tout en rappelant les faits d’armes de l’ancien Royaume de Malacca elle se focalise sur un ancien héros culturel. « On y expose la conduite exemplaire d’un chevalier légendaire et, ce faisant, on définit ce qu’était le code de loyauté et de courage de ces guerriers totalement dévoués à leur Seigneur ». Voir Muhammad Haji Salleh : A Malay Knight speaks the white man’s tongue : Notes on translating the Hikayat Hang Tuah, Indonesia and the Malay World, 2006. Il est donc tout à fait étonnant que l’on ait autant tardé à traduire cette œuvre en anglais et on ne peut que saluer la clairvoyance de Hans Overbeck qui a fait le choix de commencer ses traductions par l’histoire de ce Hang Tuah.

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