Le marché du livre malaisien est attractif, tout particulièrement dans le domaine de la vente de droits. Depuis cinq ans, Kuala Lumpur accueille le plus grand salon de droits d’Asie du Sud-Est, ce qui illustre le rôle important joué par la cession de licence sur ce marché en pleine croissance. En Malaisie, le numérique en est encore à ses balbutiements, et le développement actuel reste surtout le fait de quelques éditeurs majeurs et d’initiatives gouvernementales, notamment dans le secteur de l’éducation. Comme leurs homologues d’autres pays, les maisons d’éditions malaisiennes font en effet face à de nombreux défis dans ce secteur, à l’image de problèmes de droits d’auteur ou encore des réticences de l’édition traditionnelle. Mais il semblerait que des maisons de taille plus réduite soient en train de faire bouger les choses. Amir Muhammad, le patron de Buku Fixi, décrypte l’impact des coupons de remise distribués par le gouvernement malaisien, ainsi que la prédominance des romans d’amour sur le marché du livre local…
Pour la troisième année consécutive, l’industrie malaisienne du livre a reçu un coup de pouce grâce aux coupons de remise accordés gratuitement à tous les étudiants du supérieur. Ces coupons 1Malaysia se montent à 250 ringgits (environ 55 euros), ce qui permet de faire main basse sur une dizaine de livres de poche publiés localement. Comme ils ont été distribués à 1,3 millions d’étudiants et ne se limitent pas qu’aux livres éducatifs, le soutien aux librairies est loin d’être négligeable. Ces coupons ne sont qu’une des nombreuses mesures d’apaisement prises par un gouvernement qui, lors des deux précédentes élections législatives, a perdu sa majorité traditionnelle des deux-tiers au parlement.
Lors du Salon International du Livre de KL, ce coup de pouce commercial a même pris la forme d’un véritable coup de fouet. Aujourd’hui dans sa 33e année, ce salon reste la plus grande foire du livre ouverte au public en Asie du Sud-Est. Il continue d’attirer plus de 1,5 million de visiteurs en l’espace de dix jours, et l’édition de cette année a même été rallongée d’une journée. Parallèlement à cet événement, et dans les mêmes locaux, s’est tenu sur trois jours le Kuala Lumpur Trade & Copyright Centre (KLTCC). Organisé depuis 2009, il s’agit là du salon de droits le plus visité d’Asie du Sud-Est, attirant des maisons d’éditions et des titulaires de droits de toute la région.
Le marché malaisien de la fiction est dominé par les romans d’amour en malais, dont aucun ne vise le marché extérieur. Sur ce segment, un « bestseller » commence à partir de 50 000 exemplaires vendus. Comme en Inde, aux Philippines et à Singapour, la classe moyenne malaisienne maîtrise couramment l’anglais, ce qui signifie que même le plus vendu des livres importés ne sera en général pas traduit en malais.
La langue indonésienne partageant les mêmes racines que le malais, il n’est pas rare que des livres indonésiens pénètrent le marché malaisien après avoir subi quelques légers ajustements linguistiques. Un roman qui a changé la donne est celui de l’écrivain indonésien Habiburrahman El-Shirazy, Les Versets de l’Amour (Ayat-Ayat Cinta, 2004), dont l’action se déroule en Egypte et dont l’héroïne est une étudiante séduisante mais pieuse : après avoir fait un véritable carton ici en Malaisie, il a lancé la mode des « histoires d’amour islamiques ».
Bien que créée seulement en 2010, la maison d’édition leader du segment « fiction en langue malaise » est Karya Seni, dont les romans à l’eau de rose sont fréquemment portées à l’écran sous la forme de feuilletons du soir. Cette maison, qui a débuté comme simple site Internet dédié aux nouveautés littéraires du moment, contrôle désormais au moins un quart du marché de la fiction en Malaisie.
Parmi les éditeurs plus aventureux, Sang Freud Press (SFP) a fait traduire en 2013 un livre de l’auteur israélien Etgar Keret — ce qui requiert beaucoup de culot dans un pays où l’anti-sémitisme est officiellement approuvé. SFP et sa maison sœur Selut Press ont aussi creusé leur sillon dans un genre dont personne n’aurait pu prévoir le succès : la poésie de jeunes auteures femmes. Peu de pays en développement peuvent ainsi se targuer d’avoir vu un livre de poésie contemporaine s’écouler à plus de 10 000 exemplaires, mais SFP et Selut, eux, l’ont fait en Malaisie.
Le dernier titre paru chez SFP, et lancé lors du salon, est l’œuvre de la chanteuse pop Ana Raffali, brouillant ainsi les pistes entre « littérature générale » et « littérature alternative » — mais dans un pays de 28 millions d’habitants seulement, de telles distinctions restent secondaires. Et, c’était prévisible, la plupart des milliers de lecteurs qui ont achetés son livre sur le salon l’ont fait… avec un coupon 1Malaysia.
Source : Publishing Perspectives