Suite à la parution du numéro 4 de la revue Jentayu, sur le thème « Cartes et Territoires », nous reprenons partiellement ici un entretien avec l’écrivain malaisien Faisal Tehrani, auteur, entre autres, des romans 1515 et Comment Anyss est montée au ciel. C’est de ce dernier roman controversé sur les souffrances du peuple Penan au Sarawak, que Brigitte Bresson a traduit un long extrait, à découvrir dans le pages de Jentayu. Pour lire l’intégralité de l’entretien, rendez-vous sur le site des Editions Jentayu.
Faisal Tehrani, parlons d’abord de votre roman Comment Anyss est montée au ciel (Bagaimana Anyss Naik ke Langit, 2015). Comment vous est venue l’idée d’écrire un tel roman sur la lutte du peuple Penan de l’île de Bornéo ?

Faisal Tehrani
Il s’agit de mon ving-troisième roman. En l’occurrence, c’est un roman que je qualifierais d’anti-fiction : un mélange d’articles et de rapports sur les Penan, de récit de voyage avec Pékin en toile de fond, le tout s’inscrivant dans une trame narrative assez directe.
Ce qui m’a donné envie d’écrire cette histoire ? Tout d’abord, j’étais déterminé à écrire davantage sur les droits de l’homme suite à mes démêlés avec la censure malaisienne pour Perempuan Nan Bercinta (2012), un de mes précédents romans sur une famille chiite injustement diabolisée car appartenant à une minorité religieuse de Malaisie. J’ai toujours été fasciné par les minorités et les histoires qui en découlent. En tant qu’écrivain, je crois qu’il est de mon devoir de tendre la main à ces minorités et de leur donner une voix, afin qu’elles ne soient plus ignorées, contraintes au silence. Concernant les Penan, j’ai lu beaucoup de livres et vu beaucoup de films sur leur lutte. Parmi les faits relatés, ceux qui me révoltent le plus sont les cas de viols systématiques commis à l’encontre des femmes Penan et perpétrés par des gangs employés par les sociétés d’abattage des forêts. Cela me révolte d’autant plus que très peu de Malaisiens semblent s’y intéresser. Ici, on parle de la Syrie et de la Palestine, bien que ces deux pays soient loin de nous. Les Penan sont malaisiens et ils sont opprimés à l’intérieur même de nos frontières. Je me demande pourquoi nous ne nous en soucions pas plus, pourquoi nous sommes si sélectifs.
Par ailleurs, j’avais toujours voulu écrire sur le massacre écologique lié au népotisme, et le calvaire des Penan constitue pour moi l’essence même du terrorisme environnemental. Je n’ai pas besoin d’aller chercher plus loin que Bornéo. Mon roman montre comment un gouvernement peut aisément contourner le Protocole de Kyoto et violer la Charte universelle des Droits de l’homme. Je l’ai écrit pour mes concitoyens : il était nécessaire de mettre en lumière l’expérience douloureuse des Penan. Enfin, j’ai récemment reçu une formation chez les Front Line Defenders, à Dublin, et je souhaitais dresser le portrait d’un défenseur des droits de l’homme et montrer les risques potentiels encourus lorsqu’on se dresse contre un État ou des organisations non-étatiques. Ma protagoniste, Anyss, est un professeur menant une enquête sur les viols des femmes Penan et sa mission la met directement en grand danger.
Dans vos écrits, vous vous êtes essayé à la fiction historique (1515), politique (Perempuan Politikus Melayu), policière (la série des Detective Indigo), etc. Vous avez aussi publié de nombreux poèmes, nouvelles, pièces de théâtre, essais… Parmi toutes ces formes d’écriture, laquelle vous plaît le plus ? Comment fonctionne votre inspiration ?
Dès qu’un genre me lasse, j’en change. Il n’y en a pas un en particulier que je préfère, mais je considère la poésie comme le plus exigeant. Dans la plupart des cas, mes expériences personnelles sont à la source même de mon inspiration. Plus cette expérience est forte ou prolongée, plus elle me pousse à en rendre compte sous forme longue. Un bref séjour à Paris, Londres ou Stockholm se transformera peut-être en poème ou en nouvelle, tandis que mon engagement personnel pour la défense des droits de l’homme trouvera plus facilement sa place dans un roman ou une pièce de théâtre.
Les femmes semblent tenir un rôle central dans vos livres. Pour quelle raison ?
Je suis issu de la communauté minangkabau de Naning, à la frontière entre les États de Melaka et de Negeri Sembilan. Il s’agit d’une société matriarcale et nos valeurs sont encore bien vivantes aujourd’hui. Les femmes sont « le nœud central de tous les nœuds d’un filet de pêche », comme le dit un proverbe local. Pour cette raison, les femmes dans mes romans sont non seulement fortes, mais agissent aussi comme des leaders, des guides.
De manière générale, comment décririez-vous l’influence de l’islam sur votre travail d’écriture ?
Je pense qu’il m’est difficile de faire abstraction de l’islam lorsque j’écris. Mon premier diplôme était un diplôme d’études islamiques. Pour mon doctorat, j’ai étudié les littératures islamiques de Malaisie et d’Indonésie. En tant qu’individu, j’ai connu un parcours personnel original, d’islamiste convaincu à musulman progressiste. Tout au long de ce parcours, j’ai absorbé des idées et des discours venus du salafisme, de l’islam mystique, du chiisme et de l’islam libéral. Ceci, je crois, est assez atypique en Malaisie, car les musulmans d’ici tendent vers davantage de conservatisme. C’est pour cette raison, entre autres, que certains lecteurs pensent que j’appartiens à telle ou telle école de pensée. Ils ne m’ont sans doute lu que partiellement. Selon moi, un écrivain se doit de faire l’expérience de beaucoup de choses, en particulier d’idées. Prenons ce roman que j’écris actuellement : il s’agit du récit de la prise de conscience d’un défenseur des droits de l’homme. Ce récit reflète ma propre expérience d’ex-relativiste culturel devenu universaliste et défenseur des droits humains…
Lire la suite de l’entretien sur le site des Editions Jentayu.