À l’initiative de la poétesse et romancière Bernice Chauly, appuyée par une vingtaine de membres fondateurs issus du monde des lettres de Malaisie, l’antenne malaisienne du PEN club est en train de voir le jour. Les démarches administratives, rendues longues et ardues par un cadre juridique incertain, ont été engagées il y déjà bientôt deux ans. La première assemblée constitutive s’est déroulée le samedi 19 juillet dernier dans les locaux de la librairie Lit Books, à Petaling Jaya, et une seconde assemblée se tiendra le samedi 10 août au même endroit.
Après son retrait de la direction artistique du Festival littéraire de George Town en novembre dernier, il était écrit que Bernice Chauly ne resterait pas très longtemps sans engagement citoyen fort. Impliquée sur de multiples fronts littéraires, la voici désormais à la tête du comité de pilotage chargé de la formation de l’antenne malaisienne du PEN club. Vénérable institution créée en 1921, le PEN club a pour but, selon sa charte, de « rassembler des écrivains de tous pays attachés aux valeurs de paix, de tolérance et de liberté sans lesquelles la création devient impossible ». Son combat principal reste la défense de la liberté d’expression partout où celle-ci pourrait être menacée, et on pense au rôle primordial joué récemment par le PEN dans la libération de la poétesse Liu Xia, veuve du dissident chinois et prix Nobel de la paix Liu Xiaobo, et son expatriation vers l’Allemagne. Le PEN est ainsi présent dans une centaine de pays à travers le monde, et quelques-uns de ses centres sont parfois formés par des communautés en exil, à l’image – si l’on s’en tient à l’Asie – des centres tibétain (installé en Inde) et ouïghour (basé en Suède), ou encore celui de Corée du Nord (chez le voisin sud-coréen).

Bernice Chauly
Que la Malaisie ne dispose pas encore de son propre centre PEN relèverait presque de l’anomalie – la Thaïlande, les Philippines et le Myanmar disposent d’un centre –, mais le contexte juridique local explique en partie cette situation. En effet, le processus menant à la validation d’un dossier de création d’association prend ici parfois des allures de parcours de combattant. Connu pour ses piètres scores en matière de liberté de la presse et pour son peu de cas fait des droits de certaines minorités, notamment LGBT, l’État malaisien impose aussi de quasi insurmontables conditions aux organisations non-gouvernementales impliquées dans des secteurs pouvant toucher à la remise en question du modèle socio-politique national, et tout particulièrement à la suprématie malaise et à la place aujourd’hui occupée par l’islam dans le pays. Des organisations pourtant reconnues localement et internationalement pour l’utilité publique de leur démarche, à l’image de SUARAM, Sisters in Islam et Amnesty International, se sont ainsi vu refuser le statut d’association et sont dès lors obligées d’opérer sous le statut inadapté de société anonyme. L’une des conséquences directes d’un tel statut est un accès aux dons rendu beaucoup plus difficile, alors que ceux-ci sont consubstantiels de l’efficacité à long-terme de l’action menée par ces organisations à but caritatif.
Une autre raison qui peut aussi expliquer l’absence d’un centre PEN en Malaisie est la flagrante désunion de sa communauté – de ses communautés – d’écrivains. Des premières lignes de fracture se sont faites jour en Malaisie suite à la mise en application, dès 1971, de politiques dites de Langue Nationale et de Littérature Nationale, censées promouvoir l’usage de la langue malaise à l’échelle du pays dans les domaines administratif, éducatif et littéraire. Presque cinquante plus tard, le constat est clair : ces politiques ont tristement échoué. Le système éducatif malaisien est éclaté et totalement disparate et, pour ce qui est de la littérature, elle est segmentée au point d’être presque inaudible des citoyens malaisiens qui devraient pourtant être ses premiers lecteurs, consommateurs et défenseurs. Les écrivains de langue malaise ont l’impression de n’écrire que pour les Malais ; ceux de langue chinoise aspirent souvent à un lectorat à Taïwan ou en Chine ; et ceux de langue anglaise sont avant tout lus par une élite urbaine et éduquée, avec en plus le privilège d’un accès plus direct au monde de l’édition international. Les auteurs de langue tamoule sont complètement marginalisés, sauf ceux qui, presque par miracle, trouveraient un lectorat à l’étranger, et que dire des auteurs de langues autochtones telles que l’iban ou le kadazan, totalement inconnus de leurs compatriotes. C’est donc une gageure que de vouloir aujourd’hui rassembler ces communautés cloisonnées, et parfois animées d’un vague ressentiment, sous une seule et même bannière PEN, aussi vénérable et bienveillante soit-elle.

© PEN Malaysia
Mais l’intention est bonne, et les actions envisagées permettraient justement un resserrement des lignes et une solidarité autour de quelques idéaux fondamentaux. Le moment, lui aussi, est propice : avec l’avènement de Malaysia Baru en mai 2018, ce genre d’initiative a sans nul doute plus de chances d’aboutir et la voix du PEN de porter haut et fort qu’auparavant. En termes d’actions, elles sont nombreuses et vont toutes dans le sens d’une plus grande inclusivité de la scène littéraire malaisienne et d’une meilleure reconnaissance de sa diversité. On recense notamment un encouragement donné aux écrivains en herbe par la tenue d’ateliers d’écriture multilingues ouverts aux communautés marginalisées, et tout particulièrement aux communautés autochtones (Orang Asli, etc.). On note aussi la volonté d’organiser un autre festival littéraire d’importance en Malaisie, a priori à Kuala Lumpur, qui viendrait compléter celui de George Town et promouvoir la littérature auprès du plus grand nombre. Entre autres ambitions, on mentionnera aussi la création d’une revue de traduction littéraire trimestrielle, la tenue de tables rondes régulières rassemblant éditeurs, traducteurs et écrivains, le lancement de concours de nouvelles à l’échelle nationale et soutenus par les grands médias, et bien sûr des campagnes de sensibilisation autour du rôle du PEN club.

Faisal Tehrani
Parmi les objectifs législatifs clairement affichés du centre PEN de Malaisie, figure un appel au retrait des lois Sedition Act et Official Secrets Act, suspendues telles deux épées de Damoclès au-dessus des auteurs malaisiens dont les écrits pourraient porter sur des sujets sensibles. On a vu par le passé – notamment avec le caricaturiste Zunar, qui a frôlé une peine de prison de 43 ans pour subversion – que de telles lois pouvaient être abusivement exploitées par le pouvoir afin de faire taire les critiques. D’autres auteurs sont aujourd’hui dans le collimateur de certaines autorités, politiques ou religieuses, à l’image du romancier Faisal Tehrani qui, hier encore, déclarait lors d’un colloque que la littérature malaise est prise en otage par l’islam et souffre par conséquent d’un manque de reconnaissance et d’universalité. Un message qui fait grincer quelques dents mais qui se doit d’être entendu et soutenu, aussi bien en Malaisie qu’à l’échelle internationale. Et c’est là toute l’importance du rôle que sera amené à jouer le centre PEN de Malaisie, une fois qu’il aura vu le jour.
La page Facebook du PEN Malaysia :
https://www.facebook.com/PEN-Malaysia-338140243786499
L’assemblée constitutive du 10 août :
https://www.facebook.com/events/667956293705825/