Les femmes écrivains de Malaisie

Nous reproduisons ci-dessous un bref article que nous avons écrit pour La Gazette, le magazine de l’Association francophone de Malaisie, et publié dans son numéro 117 (printemps 2021). Son sujet : les femmes écrivains de Malaisie. Loin d’être exhaustive, notre présentation vous apportera néanmoins quelques premières pistes de lecture pour vous immerger en douceur, en traduction française, mais aussi en VO (anglais et malais). N’oubliez pas non plus de consulter notre page « Auteurs » pour de plus amples informations.

Et si la littérature en Malaisie vivait et vibrait surtout grâce aux femmes ? C’est une question qui peut se poser, tant on pourrait croire, à première vue, que le nombre d’écrivaines actives et reconnues dans le monde littéraire est bien supérieur à celui de ces messieurs.

Là où cette impression ne tient pas, cependant, c’est au sein de l’élite des Sasterawan Negara, ces “lauréats nationaux” récompensés par l’Etat malaisien pour leur dévouement de longue date à la cause littéraire et à la promotion de la langue malaise. On pourrait dire, pour établir une comparaison avec la France, qu’il s’agit là des Académiciens de Malaisie. Il faut avoir choisi le malais comme langue de création et avoir produit de nombreuses œuvres poétiques, romanesques, etc., pour pouvoir prétendre au titre d’“immortel” malaisien. Et au rang des immortels, on compte aujourd’hui douze hommes et… deux femmes. On pourrait en sourire, mais le ratio est sensiblement équivalent à celui de l’Académie française, qui compte aujourd’hui cinq femmes pour quarante membres.

Zurinah Hassan

Zurinah Hassan

Les deux heureuses élues à ce jour sont Zurinah Hassan et Siti Zainon Ismail. La première est surtout connue pour sa poésie, mais aussi pour ses nouvelles et essais. Ont été traduits en français son recueil de poèmes En regardant le port (L’Harmattan, 2015) et sa nouvelle “La rizière” dans Nouvelles de Malaisie (Magellan & Cie, 2016). Des écrits pudiques et touchants, où s’expriment une compassion pour les plus faibles et un regard lucide sur la condition des femmes malaises aujourd’hui. Chez Siti Zainon Ismail, la poésie occupe aussi une large place, mais elle a en outre consacré plusieurs textes aux traditions littéraires et artisanales de Malaisie, à l’image du beau livre Cent proverbes malais (non traduit en français), dans lequel se révèle toute l’influence de la nature sur la pensée traditionnelle malaise.

Nadia Khan

Nadia Khan

Hormis ces deux auteures “labellisées”, beaucoup d’autres sont aujourd’hui publiées en bahasa Melayu et presque toutes sont d’ethnicité malaise. Il en va ainsi en Malaisie, où la langue nationale, tellement liée à l’idée de suprématie malaise, peut être perçue comme un outil d’ostracisation par les écrivains issus d’autres communautés ethniques. A de rares exceptions près, ceux-là préfèrent écrire dans d’autres langues : l’anglais, bien sûr, mais aussi le chinois et le tamoul. L’une de ces exceptions est Gina Yap Lai Yoong : cette trentenaire d’origine chinoise a suivi toute sa scolarité dans le système public et a fait le choix, naturel pour elle, d’écrire en malais. Elle est l’auteure de plusieurs romans parus chez Buku Fixi, une maison dynamique où les écrivaines sont légion et connaissent pour certaines des succès remarquables. On pense à Nadia Khan, qui a publié six romans et un recueil de nouvelles depuis 2012. L’une de ses nouvelles a été adaptée en court-métrage et ses deux romans Gantung et Gantung: 2 font l’objet d’une adaptation en série.

Si les auteures de la maison Fixi écrivent pour un public en majorité jeune et urbain, dans un style nerveux et sans tabou, la plupart des autres écrivaines de langue malaise n’osent guère s’aventurer sur des terrains trop glissants. Beaucoup s’en tiennent à des histoires conventionnelles d’amour adolescent déçu mais vite refleuri, dans le respect de la bienséance musulmane. Les variations sur ce thème sont infinies et ces romans mièvres – l’équivalent de notre collection Harlequin – font l’objet des plus grands tirages et constituent l’aliment de base des jeunes (et moins jeunes) lectrices malaises.

Quid des auteures anglophones ? Elles jouissent d’une visibilité sans commune mesure avec leurs consœurs de langue malaise. Nullement cantonnées au seul lectorat malais, elles touchent tout un pan multiculturel et éduqué des lecteurs malaisiens et s’exportent aussi à l’étranger. Les thèmes qu’elles abordent sont les reflets d’une société en mouvement, ouverte au monde et parsemée de questionnements quant à ses traditions, son système en place, ses aspirations. Elles choisissent aussi bien la fiction que la non-fiction et, vues de l’extérieur, on peut dire qu’elles forment le visage de la Malaisie littéraire d’aujourd’hui.

Preeta Samarasan

Preeta Samarasan

On pourrait en citer beaucoup, à commencer par la pionnière Adibah Amin, dont les chroniques ont marqué des générations de lecteurs du New Straits Times, ou encore Bernice Chauly dont les poèmes s’accompagnent d’une activité intense de promotion de la littérature auprès du grand public. On pourrait citer aussi Beth Yahp : son roman Crocodile Fury est l’un des tout premiers à avoir rencontré un succès international, avec une traduction française parue chez Stock en 2003. D’autres ont suivi dans son sillage : La Gardienne des rêves de Rani Manicka (Robert Laffont, 2003), Et c’est le soir toute la journée de Preeta Samarasan (Actes Sud, 2011), La petite cabane aux poissons sauteurs de Chiew-Siah Tei (Picquier, 2014), Meurtre en Malaisie de Shamini Flint (Marabout, 2013). A chaque fois, c’est un nouveau pan de la complexité malaisienne qui nous est révélé, à travers le prisme historique (la période coloniale, celle de l’occupation japonaise), communautaire (la destinée d’une famille indienne immigrée, celle d’un voyageur chinois au Nanyang) ou politique (la déforestation massive au Sarawak).

shih-li-kow-2

Shih-Li Kow

On n’oubliera surtout pas Shih-Li Kow, dont le roman La Somme de nos folies (Zulma, 2018) a connu un succès sans précédent en France pour un roman malaisien. Lauréat du Prix du Premier roman étranger, ce sont plus de 15 000 exemplaires grand format qui se sont écoulés depuis, et la version poche vient tout juste de paraître.

Une poignée d’ouvrages qui ne doit pas cacher la forêt d’autres auteures bien connues mais encore peu ou pas traduites en français : côté fiction, citons Yangsze Choo, Hanna Alkaf, Zen Cho, Chuah Guat Eng, Saras Manickam, Felicia Yap, Shivani Sivagurunathan, Ling Low, Golda Mowe, Daphne Lee, Tina Isaacs, Eeleen Lee, Anna Tan ou encore Elizabeth Wong ; côté non-fiction, Dina Zaman, Rumaizah Abu Bakar et Mei Fong ; côté poésie, Shirley Geok-Lin Lim, Sheena Baharudin, Melizarani T. Selva, May Chong, entre autres… Autant de noms qui s’affichent dans les librairies et de voix qui résonnent dans les festivals littéraires de Malaisie, bien plus que celles de leurs confrères masculins, hormis peut-être Tash Aw, Faisal Tehrani et Tan Twan Eng. Oui, vraiment, la littérature en Malaisie vit et vibre surtout grâce aux femmes écrivains.

Ho-Sok-Fong

Ho Sok Fong

Et quid des autres langues ? C’est le chinois qui nous offre aujourd’hui de fort belles plumes, à l’image de Ho Sok Fong, originaire du Kedah et dont les nouvelles ont récemment été traduites et publiées en anglais, ou encore Li Zishu, dont les écrits se vendent très bien du côté de Taïwan. Deux représentantes de cette littérature mahua à découvrir bientôt en français, on l’espère…

Laisser un commentaire